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surprise de ne pas voir son mari à son poste de maître de maison, était venue le chercher, et la fatalité lui avait tout fait découvrir.

Le premier, Loïc voulut sortir de cette situation pénible. Il fit quelques pas vers Roberte ; mais celle-ci recula et, agitant son bras avec violence comme pour arrêter son mari : — Oh ! laissez-moi ! laissez-moi ! dit-elle.

Qui donc a dit que la femme savait sourire en ayant le cœur désespéré ? Nul ne s’aperçut de l’angoisse qui torturait Mme de Bramafam. Elle resta maîtresse de maison jusqu’au dernier moment, et comme un de ses hôtes s’étonnait que Mme Chandor eût disparu, elle répondit avec un sourire que Norine, s’étant sentie fatiguée, avait dû se retirer.

Le marquis, très pâle, très troublé, dut remplir également ses devoirs d’hôte jusqu’au bout. Quant à Roberte, lorsque tous les étrangers eurent disparu, reconduits par Loïc, lorsque les habitans du château eurent regagné leurs appartemens et qu’elle fut demeurée seule dans le salon en face de sa tante, un changement effrayant se fit sur son visage. Mme Prémontré devina aussitôt qu’il venait de se produire un grave événement :

— Roberte, mon enfant, s’écria-t-elle, en courant à sa nièce, que se passe-t-il ? Qu’as-tu donc ?

La jeune femme se dégagea des bras de sa tante : — Écoutez-moi, dit-elle d’une voix saccadée, vous m’avez donné des conseils, je les ai suivis ; vous m’avez assuré que je serais heureuse en vous croyant, je vous ai crue : eh bien…

— Ton mari !…

— Je l’ai surpris dans les bras de Mme Chandor !…

— Oh ! ma pauvre enfant !…

— Tout n’est donc que mensonge ! s’écria Roberte. Vous m’avez dit que je devais conquérir le respect de mon mari sous peine de malheur ; vous m’avez dit qu’en me livrant tout entière, je lasserais sa tendresse. Où donc est la vérité ? où donc est le bonheur ? Il y a deux mois que je suis mariée, et il me délaisse ! Non-seulement je n’ai pas pu gagner son amour, mais encore je n’ai pas su conquérir son respect, puisque c’est dans ma maison qu’il a… Oh ! je n’aurais jamais cru que ce fût chose possible ! Pourquoi m’avez-vous donné ce mari ? Je ne l’avais jamais vu, j’ignorais qu’il existât ; j’aurais pu épouser un homme qui m’eût comprise, et ne pas perdre ainsi au bout de deux mois le bonheur de toute ma vie !

Mme Prémontré écoutait le cœur déchiré cette explosion de désespoir. Son premier sentiment fut un remords ; si c’était elle qui par ses conseils avait empêché le bonheur de sa nièce ? Mais elle se raidit