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Qui sait si les plus jolies femmes ne sont pas les presque laides, celles à qui il faut un motif pour devenir charmantes ?

À côté de Roberte se tenait Mme Prémontré. À peine celle-ci détacha-t-elle les yeux une ou deux fois de son livre de messe pour jeter sur sa nièce un indéfinissable regard ; mais personne ne vit ce regard, et tout le monde remarqua l’attitude simple d’Henriette ; ce qui fit dire à Mme Norine Chandor, une Parisienne née en Hongrie :

— Cette jeune fille a quatre millions de dot et une tante un peu ennuyeuse : on peut bénir ce mariage sans crainte. Le marquis et la marquise de Bramafam auront une existence très-calme et beaucoup d’enfans !

On prétendait tout bas, il est vrai, que l’opinion de Mme Chandor était sujette à caution. Sa maison était une de celles où le jeune marquis allait le plus fréquemment, et l’on assurait que souvent aussi Norine avait témoigné le plaisir tout particulier qu’elle éprouvait à le recevoir.

La coutume s’est perdue des dîners plantureux et des bals interminables qui accompagnaient naguère les épousailles. Le soir même du mariage à l’église, Loïc et Roberte partaient pour le château de Lamargelle, dans la Côte-d’Or. C’était là que M. de Bramafam avait été élevé : il aimait fort cette propriété, et voulait y cacher les premiers temps de son bonheur. Ce bonheur ne devait pas être bien long, car, un mois après, Loïc écrivait à son ami Vivian Duvernay la lettre suivante :


« Château de Lamargelle, octobre 1869.

« Tu me demandes, mon cher Vivian, si je compte passer l’automne, et même l’hiver, perdu dans les délices de ma lune de miel. Rassure-toi, j’envoie par le même courrier quelques lettres d’invitation, et je compte que tu voudras bien prendre part aux chasses que j’organise. Mme de Bramafam et moi, nous espérons que tu te réuniras à ceux de mes amis que je prie de venir nous rejoindre.

« Comprends-tu ? Je le désire. Dans le doute, je m’explique. Ma femme est une très bonne créature, assez intelligente, une vraie compagne en un mot. Pendant vingt-quatre heures, j’avais rêvé ce que je m’imaginais être délicieux : un roman légal. La légalité est restée, mais le roman n’est pas venu. Dès le commencement de notre arrivée à Lamargelle, j’étais fixé. Il y a quinze ans que nous nous connaissons, mon cher Vivian. Une intimité de si longue date m’autorise à ne te rien cacher. Je m’ennuie, Mme de Bramafam s’ennuie, autour de nous tout le monde s’ennuie : je compte sur l’invasion de six Parisiens et de six Parisiennes pour jeter un peu d’entrain dans tout cet ennui-là. Tu sais l’homme que je suis : je