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dans le commerce avec les princes. — Si tu es en posture de t’asseoir à la cour, cède la place à ton supérieur, salue-le prosterné jusque sur le front, considère ce qu’il est vis-à-vis de toi, ne le moleste pas. — Si tu es dans la condition du prud’homme qui s’asseoit dans les conseils de son maître, contrains ton cœur; la réserve de la parole est plus digne que les fleurs du bavardage. Explique ce que tu sais avec éloquence; n’injurie pas; la parole est la plus dangereuse de toutes choses; qui l’a déchaînée ne peut la retirer, — La justice est grande, nécessaire, égale, intègre, depuis les jours d’Osiris. — Si tu entres dans un harem, prends garde au contact des femmes; le lieu où elles sont n’est pas bon : imprudent qui les séduit! Des milliers d’hommes ont péri pour un moment plus fugitif qu’un songe. C’est la mort que la connaissance de la femme. »


Et le moraliste continue ainsi, parlant de l’administration des biens, de la famille, des devoirs des diverses charges, sans beaucoup d’élévation, mais avec un sens très pratique de la vie.

Je ne veux pas sortir des limites strictes de l’ancien empire, où je me suis volontairement renfermé; plus tard une littérature complète me fournirait de maîtresses pages en tout genre. Qu’il me soit permis pourtant de citer quelques versets de ce bel hymne au Nil, qui échappe à peine à mon sujet, puisqu’il date au plus tard de la XIIe dynastie.


« Tu abreuves la terre en tout lieu, — voie du ciel qui descends... — — Se lève-t-il, la terre est remplie d’allégresse, — tout ventre se réjouit, — toute dent broie... — Il crée toutes les bonnes choses, — le Seigneur des nourritures agréables, choisies; — il se saisit des deux contrées, — pour remplir les entrepôts, — pour combler les greniers, — pour préparer les biens des pauvres. — On ne le taille point dans la pierre, — on ne peut l’attirer dans les sanctuaires; — point de demeure qui le contienne... — Il boit les pleurs de tous les yeux; — repos des doigts est son travail, — pour les millions de malheureux. »

Toute l’Egypte est dans ces derniers mots. Ne croit-on pas entendre le vieux cri de douleur de ceux penchés sur la glèbe, qui depuis tant de longs siècles ont peiné, sué, souffert sous tant de maîtres, secourus seulement par le divin fleuve? — Il semble que ces paroles aient été faites pour un air que j’entendis un soir à Louqsor, quand, il y a quelques années, je visitai la Haute-Egypte pour la première fois. Un vieux fellah aveugle le tirait d’une méchante flûte, accroupi contre le chapiteau en fleur de lotus d’un pilier du temple enfoui. L’homme et l’instrument n’avaient changé