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que l’était tout à l’heure celui d’art. Je m’en sers faute d’autre. Plus tard, sous les grandes dynasties, il y aura une littérature égyptienne, officielle et pompeuse, des romanciers, des historiens, des poètes qui célébreront les exploits du pharaon en style travaillé et feront assaut d’imagination. A l’heure où nous sommes, l’imagination est pauvre dans la vallée du Nil : les écrits, comme les œuvres plastiques et les formules religieuses, lui demandent peu; c’est la raison et le cœur qui prédominent. Le livre de Ptah-Hotep est un code de morale officielle ad usum Delphini, les instructions d’un prince à son fils; cela ne peut être comparé qu’aux traités moraux de Confucius ou à quelques chapitres de l’Ancien-Testament; c’est d’ailleurs le tour parabolique et sentencieux des livres sapientiaux.

Ici je veux dire tout de suite le fait capital qui me frappe dans tout ce qui a survécu des lettres égyptiennes, c’est l’intime parenté du style avec celui des productions du génie hébraïque. Qu’on prenne un chapitre du rituel ou quelqu’une des œuvres postérieures, l’hymne au Nil (XIIe dynastie), le poème de Pentaour, une des odes nombreuses à la gloire des Thouthmés et des Rhamsès : on se rendra facilement compte de l’identité de forme, de procédé, de rhythme, d’images, qui existe entre ces compositions et les psaumes juifs. Le verset a le même mouvement, la métaphore même tournure, la pensée même obscurité; tel verset de psaume semble la traduction littérale d’un hymne égyptien. Si l’on considère le long séjour d’Israël dans la vallée du Nil, l’éducation de ses chefs dans les écoles de Memphis ou de Thèbes et l’initiation complète de Moïse, — que Strabon appelait un prêtre égyptien, — si l’on réfléchit que son exode a coïncidé avec la plus brillante période de la civilisation pharaonique, depuis longtemps en pleine possession de sa littérature, il est impossible de ne pas chercher là pour une part l’origine des grandes œuvres juives et le moule de la forme conservée plus tard par l’inspiration sémitique.

On ne fait d’ailleurs aucun tort à la majesté du psalmiste ou à la grâce du cantique en leur cherchant des modèles dans les vénérables tombeaux de cette vieille Égypte, qui apparaît jusqu’ici comme la première institutrice de l’humanité en toutes choses. Que de pensées profondes ou attendries sortent de la poussière des papyrus, arrachées par nos patiens déchiffreurs ! Le jour où le travail sera assez avancé pour qu’on puisse mettre à la portée de tous les résultats obtenus, le trésor de l’esprit humain aura recouvré un de ses plus fiers joyaux. De l’ancien empire, de cette aurore de l’histoire que la distance fait presque invisible pour nous, il ne nous reste guère que des fragmens d’inscriptions lapidaires; ce serait encore assez pour composer une anthologie digne de tout notre