Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/349

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chose humaine, les a faits irréprochables : trop de questions se pressent sur les lèvres en leur présence pour qu’on songe à les critiquer. Portez donc chez eux vos théories, vos raisonnemens, vos idées éphémères! L’homme de Meydoun vous fera rentrer d’un regard dans votre néant, d’un regard de ce bel œil de quartz, brillant et vivant, au magnétisme terrible. — Qui n’a éprouvé ce malaise indéfinissable qu’on ressent à regarder fixement, le soir, un vieux portrait dont la prunelle vague vous suit obstinément? Qu’est-ce donc quand on rencontre cet œil ouvert au jour nouveau après six mille ans de sommeil dans les ténèbres, cet œil qui a vu le vaste monde, le ciel et les hommes à ces époques lointaines où l’existence même de l’univers faisait doute pour nous avant que de pareils témoins ne fussent venus l’attester? Er, l’on n’échappe à celui-là que pour se retourner vers la statue de bois, fragile défi jeté à tant de siècles, vers le Képhren qui a vu construire les pyramides, vers tous ces revenans de Saqqarah. On comprend qu’il ne faille pas une imagination bien vive au visiteur, errant à travers ces salles désertes, silencieuses, assombries, pour voir s’animer bientôt ces figures qui viennent à lui du fond de leurs soixante siècles, pour surprendre une ironie désabusée dans les yeux de ces vieillards qui lui montrent, pêle-mêle au milieu des vitrines, les dieux qu’ils ont adorés, les poèmes qu’ils ont écrits, les bijoux dont ils se sont parés, les armes qu’ils ont conquises, et, dans les momies dont les pieds séchés dépassent çà et là les gaines peintes, les femmes qu’ils ont aimées : on ne tarde guère à discerner des voix confuses sortant de toutes ces lèvres de pierre pour railler les certitudes et les espérances de l’enfant qui passe, pour lui dire les choses sages, et que les mensonges qui nous prennent étaient déjà vieux de leur temps. On écoute le chœur des premiers hommes reprenant dans la plus vieille langue humaine la litanie désolée de l’Ecclésiaste : vanité des vanités ! — Ah ! les heures passent rapides et pleines dans cette maison de Boulaq ! On les entend parfois se rappeler timidement à une horloge voisine : c’est encore là une ironie amère, un écrasement brutal de plus, ces petites quantités de temps qui viennent se perdre au gouffre et semblent si misérables, dans ce milieu où on ne les compte plus, où on joue avec les siècles comme le Jacquemart de Strasbourg avec les heures : on pense à des gouttes d’eau tombant dans l’océan.


IV.

Les statues et les bas-reliefs funéraires qui font passer sous nos yeux l’ancien empire se placent au premier rang de nos moyens