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cette première période nous est mieux connue que presque toute la suite des annales égyptiennes. Les documens s’arrêtent d’ailleurs après la VIe dynastie et jusqu’à la XIe, qui commence le moyen empire : il y a là une de ces brusques interruptions, un de ces trous noirs dans le passé où l’histoire d’Egypte se perd à deux ou trois reprises, comme ces fleuves dont le cours disparaît sous terre durant un certain temps ; on suppose qu’il faut voir dans ces lacunes, résultat probable de révolutions intérieures et d’invasions étrangères, des périodes analogues à notre moyen âge, une léthargie prolongée de la civilisation. L’absence de documens ne nous autorise pas d’ailleurs à retrancher de nos calculs ces siècles vides ; sans parler de la suite des dynasties dont il faut trouver la place, l’histoire égyptienne reparaît soudainement après ces éclipses, comme les fleuves après leur parcours souterrain, profondément modifiée dans sa direction et dans sa forme; nous sommes forcés de tenir compte du laps de temps nécessaire à ces transformations, quoique caché à nos yeux entre les deux points où nous perdons le fil conducteur. Au reste, les découvertes heureuses des savans restreignent chaque jour davantage ces espaces déserts, comme les explorations des voyageurs resserrent de plus en plus les blancs inconnus de nos cartes d’Afrique. On peut prévoir le moment où la chaîne aura retrouvé tous ses anneaux, où l’esprit pourra remonter, en suivant des faits certains, des-derniers Ptolémées au roi Menés.

Déjà notre œil peut faire matériellement ce travail à Boulaq, d’une façon sommaire, mais particulièrement curieuse. M. Mariette a eu récemment l’ingénieuse idée de ranger dans une vitrine, par ordre chronologique, les scarabées royaux, depuis les premiers pharaons jusqu’au dernier. On sait que ces petites bestioles de pierre dure portaient gravé le cartouche, — nous dirions le protocole, — du souverain régnant, et que la tradition s’en est conservée durant toute la monarchie égyptienne. Rien ne saurait frapper l’esprit mieux que cette concrétion matérielle de cinquante siècles d’histoire dans ces menues pierres piquées sur trois ou quatre rayons d’un mètre. On songe involontairement devant elles à ces incalculables périodes de notre formation planétaire, dont les produits minéraux représentent la condensation de volumes de gaz épandus dans l’espace sans fin; de même la longue histoire humaine est venue se cristalliser pour nous dans ces grains mystérieux de lapis ou de serpentine. On admire l’alchimie souveraine de la science qui transmute aujourd’hui ces pierres pour reconstituer avec elles les développemens de cette histoire. A quelque point de vue qu’on se place, la leçon de cette étrange collection est puissante