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impérieusement; pour peu qu’on les interroge avec patience, ces morts parlent, leurs ténèbres s’illuminent, un monde s’ouvre. On comprend et on s’approprie les paroles magistrales avec lesquelles M. de Rougé, le guide à jamais regrettable de la science égyptologique, ouvrait en 1860 son cours au Collège de France : « Je ne sais, messieurs, si l’attrait invincible qui m’a toujours entraîné vers les études hiéroglyphiques me fait illusion, mais il me semble que la grande attente des esprits sérieux à notre époque est bien justifiée, et que jamais les méthodes puissantes de l’archéologie et de la philologie moderne n’ont rencontré un sujet plus intéressant par les souvenirs de toute sorte que l’histoire a concentrés dans la vallée du Nil, plus curieux et plus solide à la fois par le nombre et la prodigieuse antiquité des monumens dont la critique la plus difficile ne pourra récuser le témoignage. »

Oui, sans doute : parmi tant d’efforts de pensée qui ont fait la grandeur et le tourment de notre siècle, je ne sais pas de plus haut honneur intellectuel ni de résultat plus assuré que le relèvement de cet immense édifice de l’histoire d’Egypte, depuis Champollion jusqu’à nos jours. Bien des pierres manquent encore; mais les grandes lignes sont désormais fixées avec une sûreté incontestable. Le cadre de cette étude ne se prête pas à l’énumération de toutes les preuves qui ont permis aux égyptologues de rétablir les annales du peuple de Menés durant une période de quarante à cinquante siècles en deçà de notre ère. On sait que les listes de dynasties royales dressées par Manéthon, contrôlées et corrigées par les tables d’Abydos, de Saqqarah, par la salle des Ancêtres à Karnak et le papyrus de Turin, ont fourni la base de ces calculs : il est malaisé aujourd’hui de plaider la thèse si longtemps soutenue du parallélisme des dynasties. Autour de cette base viennent se grouper pour l’appuyer les indications tirées des monumens, des variations ethnographiques, esthétiques, religieuses : les sciences naturelles s’accordent pour témoigner de cette prodigieuse antiquité.

On a divisé cette longue suite de siècles et de dynasties en trois grandes périodes : l’ancien, le moyen et le nouvel empire. Comme il faut se limiter en un si vaste domaine, je veux passer sous silence les deux derniers, dont l’histoire nous est plus familière. Je demande au lecteur d’oublier aujourd’hui les splendeurs des Séti et des Rhamsès, les désastres de l’invasion des Pasteurs; je lui demande de retourner d’un vol à six mille ans du jour où nous vivons, et de me suivre dans les profondeurs de cet ancien empire memphite, dont la nécropole de Saqqarah nous a révélé l’existence. Grâce aux monumens figurés des IIIe, IVe, Ve et VIe dynasties, sortis de terre en si grand nombre et en parfait état de conservation,