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eux pour relire quelques pages de Pascal. Les Pensées sont le seul commentaire assez éloquent pour être supporté en un tel lieu ; il n’est pas plus sombre que cette âme, pas plus illimité que cet esprit. — C’est à Saqqarah qu’il faut entendre le grand tourmenté vous souffleter de ses coups d’ailes... « Qui se considérera de la sorte s’effraiera de soi-même, et, se considérant soutenu dans la masse que la nature lui a donnée entre ces deux abîmes de l’infini et du néant, il tremblera dans la vue de ses merveilles... Dans la vue de ses infinis, tous les finis sont égaux, et je ne vois pas pourquoi asseoir son imagination plutôt sur un que sur l’autre. La seule comparaison que nous faisons de nous au fini nous fait peine... »

Tout vous crie cela ici : ces pensées vous enveloppent aussi fatalement que le sable qui monte sous vos pieds, vous oppressent aussi lourdement que le vent de feu qui passe sur votre corps. Aucun poids de la terre n’arrête l’essor de l’âme qui monte avec les esprits ailés, et c’est ce que Dante ressentait dans le monde des morts :

M’andava senza alcun labore
Si che seguiva in su gli spiriti veloci.


Tout est grand, profond : nul ressouvenir de la vie ne trouble la méditation dans cette solitude. Un jour seulement, j’y ai été distrait par une pauvre petite tente qu’un fellahin employé aux fouilles avait dressée dans le sable. Cela me paraissait le dernier mot de la misère que ce passant d’une heure et son abri d’une nuit en pareil lieu. Alors j’ai pensé qu’il doit y avoir quelqu’un pour qui cette antiquité et cet espace sans bornes sont misères égales, qui juge ce mendiant et les pharaons, cette loque de toile et les Pyramides, aujourd’hui et les longs siècles, à la commune mesure de son éternité, et quand l’homme roula d’un geste son lambeau d’étoffe sur son piquet, au matin venu, je me rappelai qu’Isaïe le prophète a dit : Terra auferetur quasi tabernaculum unius noctis, « cette terre sera enlevée comme la tente d’une nuit. »


II.

C’est l’attrait de la rêverie promenée sur d’aussi larges horizons qui ramène d’abord le visiteur au musée de Boulaq. Les premiers rapports avec ses habitans sont forcément un peu froids; ce monde nouveau étonne le profane, ces personnages bizarres, souvent gauches et raides, troublent ses habitudes d’esthétique et restent muets pour lui. Peu à peu cependant les problèmes qu’ils soulèvent irritent l’esprit, s’emparent de lui l’un après l’autre et le retiennent