Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/34

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par un système de lignes télégraphiques et de voies ferrées dont le tracé a été subordonné aux conditions stratégiques de la défense. C’est ainsi que le long de la Baltique, de Flensborg à Memel, court une voie ferrée qui ne s’éloigne pas du littoral au-delà de 8 à 16 kilomètres. De cette voie partent des embranchemens se dirigeant sur les centres importans de l’intérieur, tandis que sur tous les points principaux de la Mer du Nord viennent aboutir des chemins de fer à double voie. Depuis deux ans, le réseau stratégique des voies ferrées est complet, il comprend, avec les autres voies ferrées de l’empire, près de 25,000 kilomètres en exploitation, presqu’autant que tout le réseau de la Grande-Bretagne.

Tel est dans les lignes principales de sa structure, le solide édifice que la Prusse a élevé sur les deux mers riveraines pour y asseoir la puissance navale de l’empire d’Allemagne. Commencée il y a vingt-trois ans, l’œuvre touche à son terme, en même temps qu’à son double but : sécurité de la frontière maritime et affirmation de la suprématie allemande sur une mer où la Russie avait jusqu’ici dominé sans partage.

Mais si d’un côté de la Baltique la Prusse a fondé Kiel, de l’autre la Russie possède Kronstadt, et depuis 1864 on a vu grandir en face l’une de l’autre, à l’orient et à l’occident de cette mer, deux marines qui, par leur essor rapide, ont dépassé en les laissant bien loin en arrière les vieilles marines de la Suède et du Danemark. Dans ce temps de navires cuirassés où nous vivons, de navires dont un seul ne coûte pas moins de 15 millions, les marines secondaires sont vouées à un effacement inévitable. Il n’y a plus que les grands états, les états riches, qui puissent se passer le luxe de ces coûteuses machines de guerre. Le Danemark et la Suède n’ont pas échappé à cette conséquence. Est-ce un bien? est-ce un mal? l’avenir nous le dira. Mais en parlant de ces marines amies, dont les officiers venaient s’instruire au milieu de nous et partager nos travaux, nous aimons à rendre hommage à leur passé et à rappeler qu’elles ont inscrit dans l’histoire de ce passé plus d’une page glorieuse. Nous aimons à rappeler que, seul de tous les états de l’Europe, le Danemark n’a jamais été en guerre avec la France, et que cette amitié remonte aux temps les plus reculés de notre histoire nationale, alors qu’Ogier le Danois combattait aux côtés de Charlemagne.

Placée entre deux mers, la Baltique et la Mer-Noire (nous ne parlons ni de la Mer-Blanche ni de la Caspienne, qui songe à y disputer la suprématie?), la Russie veut être forte sur ces deux mers riveraines, assez forte pour y dominer. C’est le but constant de sa politique, politique invariable, parce qu’elle est la condition du développement européen de l’empire russe. Qu’on veuille bien,