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d’épaisseur. On ouvre la cage; l’animal ahuri commence par faire le tour du cercle qui l’enferme, lentement d’abord, puis à toute vitesse, cherchant une issue pour s’enfuir. Enfin affolé par les cris qu’il entend, les lances menaçantes qui s’abaissent contre lui de tous côtés, il prend son élan et d’un bond prodigieux s’élance par-dessus la tête du premier rang, mais c’est pour retomber sur les piques levées en l’air par ceux des derniers rangs. Il expire bientôt percé de mille coups.

Trois heures de chemin de fer à travers des forêts de palmiers qui s’échelonnent au penchant des montagnes nous conduisent à Djokdjokerta, ou, comme on l’appelle par abréviation, Djokia, située à 4 lieues de la mer sur la côte sud. Ici encore notre première visite est pour le résident, M. Wattendorf, chez qui nous trouvons nombreuse réunion de militaires et de planteurs hollandais. Son habitation, la plus belle que j’aie vue à Java, ferait envie à bien des souverains européens; trois cents convives peuvent prendre place dans la salle à manger, placée entre deux jardins aux eaux jaillissantes; le reste est à l’avenant; non loin s’élève la forteresse où veille la garnison hollandaise; l’aspect général rappelle exactement Sourakarta. Nous conformant au plan tracé par le résident, nous partons le lendemain matin pour les tombeaux des sultans, situés à quelques pals[1] de la ville.

Arrivés au bord d’une rivière coquettement encaissée qu’il faut passer à gué, nous voyons venir au-devant de nous trois cavaliers javanais qui nous saluent et se mettent en devoir d’escorter la voiture. À cette aimable attention il nous est facile de reconnaître que le résident a tout fait préparer dès le matin pour notre visite. Nous pénétrons dans un kampong dont la population se précipite à notre approche hors des maisons et fait la haie sur notre passage dans une attitude respectueuse; la foule est plus nombreuse encore dans la grande cour d’entrée, où le grand-prêtre vient, entouré de ses acolytes, nous recevoir et se mettre à notre disposition pour visiter les tombeaux. Tout cela nous est expliqué par un interprète que M. Wattendorf a mis à notre disposition, car mon compagnon ne comprend que le malais, et le javanais en diffère essentiellement. Nous suivons donc le guide qui s’est offert à travers une vaste nécropole, vieille de huit siècles, où sont les tombes en pierre ou en marbre non-seulement des sultans, mais de leurs principaux serviteurs, dormant du sommeil éternel au milieu de jardins luxurians; on nous montre les tortues sacrées, le mausolée du dernier sultan, les portes murées à côté desquelles on

  1. Le pal ou pilier a une longueur de 1 kilomètre.