Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/322

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’hôtel Leroux, c’est le jardin botanique, où sont accumulées toutes les merveilles de la végétation équatoriale. Il faut renoncer à en faire l’inventaire, un botaniste dépenserait un mois sans épuiser la liste des trésors qui y sont contenus; mais je ne puis m’empêcher de noter au passage l’admirable collection d’orchidées de toute espèce qu’on y trouve réunies; le jardin est en même temps un parc anglais où l’arrangement des familles est combiné avec le dessin le plus gracieux. Une petite rivière le traverse, des mouvemens de terrain en varient l’aspect; l’art, la science et la nature contribuent à faire de cet immense domaine l’un des plus beaux sites que l’on puisse voir. A quelque distance du palais se trouvent, au milieu d’un bois de bambous, les tombeaux des gouverneurs morts à Java; plus loin une plantation de café.

Je suis présenté à M. Teysmann, propriétaire d’une collection curieuse d’animaux-feuilles, qu’il me permet de voir. Ces étranges insectes appartiennent au genre des orthoptères. Ils affectent la forme, la couleur, tantôt d’une petite branche d’arbre, tantôt d’une feuille, au point qu’un observateur inattentif s’y laisserait tromper. Coloration, fibres, nervures, veinules, rien n’y manque; c’est à peine si on distingue avec beaucoup d’attention une petite tête de sauterelle qui ronge avidement les feuilles de la plante sur laquelle vivent ces singuliers hôtes. Nous passons ensuite à la ménagerie, où se trouvent toutes les variétés de singes, notamment un orang-outang dont la physionomie tout humaine me rappelle qu’orang est le mot malais qui signifie homme. De tous les oiseaux de Java, le plus beau est sans comparaison le pigeon des Moluques; gros comme un dindon, il a les formes élégantes du ramier, avec un plumage d’un bleu tendre uniforme et une petite huppe en trident sur la tête. La vie d’un homme ne suffirait pas pour passer en revue toutes les richesses de la flore et de la faune; on quitte avec dépit ces collections, comme ces bibliothèques où des millions de volumes échappent par leur nombre à l’avidité de l’explorateur.

Presque chaque soir, le temps se couvre, de gros nuages accourent de tous les points de l’horizon, l’orage éclate, et des torrens de pluie tombent pendant une heure ou deux; puis les étoiles reparaissent et les plantes rafraîchies exhalent leurs senteurs pénétrantes, tandis que, plus ou moins couchés dans leur berceuse, les hôtes de chaque maison hument paisiblement leur cigare. Les dames hollandaises se hâtent de quitter l’uniforme officiel, le corset, ce tyran dont elles n’ont pas le secret de faire un allié, et de reprendre le sarong-kabbayo, pour venir sous la vérandah de l’hôtel aspirer un peu de fraîcheur. Grâce à Dieu, chacune d’elles a couché la demi-douzaine de marmots à demi nus qui trottent tout le jour