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on prend une douche froide, une tasse de thé, on s’habille et l’on sort pour faire en voiture la promenade du soir. La mienne me ramène à l’heure du dîner chez M. Delabarre, où parmi les délicatesses d’une table élégante, je dois accorder une mention toute spéciale au mangoustan, ce fruit délicieux dont la capsule contient une pulpe blanche, molle et parfumée, qu’on mange à la cuiller comme une glace au citron.

Je sais trop ce que valent la plupart du temps les exhibitions de mœurs pittoresques pour me promettre beaucoup de plaisir à la vue des bayadères que l’on voit le soir à Batavia. voyageurs imprudens qui, sur la foi de récits merveilleux, quelquefois mensongers, plus souvent infidèles à leur insu, vous êtes mis en route espérant trouver à chaque pas les scènes riantes ou caractéristiques, les couleurs éclatantes, les tableaux élégans qu’un pinceau trop généreux a enluminés pour vous les présenter, que de déceptions vous attendent! Allez voir les bayadères : dans un des bas quartiers, sur une place fangeuse où se presse une foule d’indigènes et de Chinois, vous apercevez d’abord différens bouges qui représentent la trilogie déjà signalée à Macao, puis, sur une petite estrade en plein air vous verrez une Javanaise richement coiffée, la figure et le cou peints de vermillon et barbouillés de safran, se livrant en compagnie d’un Malais quelconque à une série de contorsions étranges qu’accompagne une musique bizarre. Nous voici bien loin des images poétiques dont le nom seul remplit l’imagination; mais ce n’est pas dans ces exhibitions grossières qu’il faut chercher le type de la chorégraphie indigène; peut-être serons-nous plus heureux dans la province.

18-19. — Aussitôt qu’un résident européen de Batavia peut disposer de quelques jours, il va les passer au pied des montagnes, à Butenzorg, qui n’est séparé de la mer que par deux heures de chemin de fer. C’est là que réside le gouverneur des Indes néerlandaises; c’est là que vont s’établir, dans d’excellens hôtels, dans des villas charmantes, tous ceux que leurs affaires ne retiennent pas absolument à la ville, tous ceux que leur médecin en éloigne sous peine de mort. A mesure qu’on en approche, on voit se dérouler les cimes bleues des montagnes volcaniques qui courent d’un bout à l’autre de l’île; en y arrivant, on se trouve au milieu d’un autre Batavia, plus frais, plus riant encore, plus disséminé et comme perdu dans les arbres. Une déchirure de terrain s’ouvre au milieu de ce parc et donne passage à un torrent où l’on va prendre son bain le matin avant la chaleur; mais la grande curiosité de Butenzorg, ce n’est pas le palais monumental du gouverneur, ce n’est pas la vue magnifique dont on jouit de la vérandah