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sans ressource. Nous en voyons un premier exemple : c’est un brick échoué à l’entrée d’une des passes les plus difficiles, le détroit de Banka, qui n’a pas moins de 100 milles de long. Les phares qui balisent la route sont loin d’être assez nombreux et placés toujours avec l’intelligence nécessaire. Aux reproches qu’on leur adresse, les Hollandais, qui naviguent constamment dans ces parages, répondent qu’ils n’ont jamais eu d’accident; mais les grands steamers étrangers, avec leurs 25 pieds de quille, sont plus exigeans. C’est par suite de cette mauvaise disposition des phares que la Neva s’est perdue en 1874, tout près de Batavia, dont elle avait cru voir le feu, tandis qu’elle marchait droit sur un banc. On voit encore, au sortir des Mille îles, sa grande carcasse, d’où l’on a retiré tout ce qui pouvait être utilisé, échouée sur le bas-fond où elle est montée une nuit pour n’en plus redescendre. Au-delà, nous ne tardons pas à découvrir les terres basses couvertes de palétuviers où se cache Batavia. L’Emirne jette l’ancre dans la baie, à une assez grande distance; un petit vapeur vient prendre les passagers et remonte entre deux jetées le long canal qui mène à la mer les eaux jaunes du Kali. On accoste au quai de la douane, où les formalités sont rapides. Un porteur saisit mes colis, les place sur une voiture, et ses deux chevaux partent ventre à terre pour l’hôtel des Indes, sous une de ces averses épouvantables comme il n’en tombe que sous l’équateur. On traverse ainsi la ville indienne ou ville basse, peu animée, un dimanche de Pâques, malgré la circulation des tramways qui la sillonnent; c’est celle où sont concentrées les affaires, les industries petites et grandes, où s’élèvent les bureaux, les magasins, les chantiers, où habite la population des travailleurs indigènes et chinois. Laide, étouffée, construite sans élégance en brique et en torchis, cette partie de la ville est en outre malsaine, insalubre; c’est là que l’on court risque d’attraper les fièvres, les dyssenteries, les ophthalmies, le choléra, tous les maux que produisent les accumulations humaines sous un soleil ardent, au milieu d’un marécage. Aussi les négocians n’ont-ils là que le siège de leur commerce, simple office où ils passent quelques heures par jour, tandis que leur résidence est dans la ville haute. On arrive à cette dernière en suivant pendant trois kilomètres le Kali encaissé entre deux quais de granit.

Ici tout change. On sort de la cité des échoppes pour entrer dans celle des palais. Toutes les habitations hollandaises sont construites sur le même type, mais les dimensions varient assez pour que cette régularité ne tombe pas dans la monotonie. Sur la rue large, droite, bien plantée, digne du nom d’avenue, un mur à hauteur d’appui, ou simplement une clôture élégante de grosses chaînes de fer soutenues par des piliers de maçonnerie, laisse voir un jardin