Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/297

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fermeté a produits; ils sont contenus dans le registre ci-joint. Servez-vous-en comme de votre bien; que votre bonheur égale la justice de votre cause, reconnue pour telle de l’un à l’autre pôle. Cette lettre en est une preuve, en même temps qu’elle fera sentir à vos ennemis que vos braves Corses ont des amis désintéressés, qui, guidés par les principes seuls de l’humanité, leur procurent des soulagemens, non pas, nous l’avouons, proportionnés à vos besoins, mais bien au désir que nous avons de vous être utiles. — Vos sincères amis, les habitans du Nord-Pôle. » Joseph II, en voyant l’engouement de l’Europe monarchique pour les insurgens d’Amérique, avait dit que son métier était d’être royaliste. Catherine n’oublie qu’à bon escient cette royale solidarité.

J’ai déjà parlé ici même du séjour à Saint-Pétersbourg du Suisse Laharpe, que Catherine appelait amicalement « monsieur le jacobin, » et des papiers relatifs à l’éducation des petits-fils de Catherine II, les grands-ducs Alexandre et Constantin.


II.

En 1761, l’abbé Chappe d’Auteroche, membre de l’Académie des Sciences de Paris, fit un voyage en Sibérie pour observer la conjonction de Vénus avec le soleil. On voit dans les papiers d’Elisabeth qu’elle lui fit compter, à titre de présent, une somme de 1,000 roubles. Chemin faisant, Chappe recueillit des observations sur les mœurs, la religion, le gouvernement de la Russie, les peuplades soumises à sa domination, et publia son Voyage en Sibérie par ordre du roi. Ce livre, qui eut deux éditions, causa la plus vive irritation à Catherine II et fit une impression aussi désagréable que la Russie en 1839 du marquis de Custine. L’impératrice, dans ses lettres à ses correspondans, décria cet abbé Chappe qui, « courant la poste dans un traîneau bien fermé, a vu toute la Russie. » Comme première réfutation, nous la voyons répéter sur tous les tons l’éloge de la Sibérie, qui en effet, dans sa partie méridionale, n’est pas moins fertile que la Russie du centre. C’est alors qu’elle envoie à Voltaire, à titre de pièces justificatives, des noix de cèdre de Sibérie. Elle s’enquérait surtout d’un écrivain français qui fût capable d’écrire une réfutation du Voyage, et le sculpteur Falconet se mettait pour cette recherche à sa disposition. Comme le dit Ségur dans ses Mémoires, l’impératrice était convaincue que c’était un nouveau coup de son ennemi Choiseul, et que « l’abbé Chappe avait été inspiré par ce ministre. » Dans une note autographe de Catherine II, postérieure à l’année 1768, on remarque ce passage : « De tous les émissaires que l’intrigue et l’ambition emploient depuis