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« C’est pourtant cette correspondance, continue Grimm, qui depuis ce moment n’a pas cessé ni langui un seul instant, que sa bonté a entretenue avec une suite sans exemple, c’est cette correspondance qui est devenue le seul bien, l’unique ornement de ma vie, le pivot de mon bonheur, tellement essentiel à mon existence que la respiration me paraissait moins nécessaire que l’arrivée des paquets de l’impératrice et l’envoi des miens à sa majesté. » Elle dura de 1774 à 1796; on ne pourra bien en juger que lorsque les papiers de Catherine II, qui s’arrêtent dans la Collection à l’année 1776, seront complètement publiés. Pour le moment, nous n’avons que six lettres, toutes de l’impératrice. La première confirme bien ce que Grimm raconte de leurs entretiens et ce qu’elle-même en disait à Voltaire : « Adieu, monsieur de Grimm; cette lettre commence à ressembler aux jaseries après huit heures de Tsarskoe-Sélo, et les sots qui la liront avant vous (les employés des cabinets noirs ou ses ministres?) pourraient trouver indécent que des personnes aussi graves que vous et moi écrivent des lettres pareilles. » Dans les suivantes, on voit percer cette disposition à l’ironie, habituelle à l’impératrice dès qu’il s’agit de la cour de France. Elle qui s’est fait inoculer par l’Anglais Dimsdale et qui a donné courageusement l’exemple à son peuple, se moque de Louis XV, qui est mort victime de la routine : « J’opine qu’il est honteux pour un roi de France qui vit au XVIIIe siècle de mourir de la petite vérole : cela est welche. » Welche est le mot que Voltaire a mis à la mode pour désigner cette France qui n’a plus rien du génie français, cette fausse France de Versailles qui recule devant toute initiative, qui craint la lumière et voudrait étouffer la pensée. Dans la bouche de Voltaire, c’est une expression de mépris pour la décrépitude bourbonnienne; dans celle de Catherine, je ne jurerais pas que welche n’est pas un synonyme de Français. En général, la plaisanterie de l’impératrice dans ses lettres à Grimm n’a pas la finesse de celle qu’elle échangeait avec Voltaire; on dirait que Catherine subit la contagion du lourd germanisme de Grimm. Peut-être aussi qu’avec Grimm, qui est son homme, son domestique, son valet de chambre littéraire, ne se donne-t-elle pas autant de mal qu’avec Voltaire. Évidemment elle fait moins de frais de coquetterie intellectuelle; elle écrit en pantoufles et en robe de chambre.

En attendant la publication des lettres suivantes, le Mémoire de Grimm peut d’avance en donner une idée. Grimm n’envoyait ce qu’il avait écrit que lorsque ses lettres formaient un paquet assez volumineux, ce qui prenait environ deux ou trois mois. Ses nouvelles n’avaient donc pas toute la fraîcheur que nous recherchons aujourd’hui dans celles des journaux. Il se défend d’avoir fait jamais aucun rapport sur les sujets russes qui habitaient Paris, d’avoir surveillé les