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Mme Geoffrin, Marmontel, Diderot, D’Alembert et bien d’autres ne sont pas une histoire inconnue; mais on nous apporte des faits nouveaux et curieux sur presque tous les épisodes de cette histoire. Bien que la plupart de ces documens soient publiés en langue française, on n’ira guère les rechercher dans une collection russe, et pour beaucoup de lecteurs d’Occident ils sont comme inédits.


I.

L’éducation de Catherine II, lorsqu’elle n’était encore que Sophie d’Anhalt-Zerbst-Dornburg, avait été toute française, comme les éducations allemandes de la même époque. Entre la France et l’Allemagne, il y avait alors un échange continuel d’idées et d’hommes : protestans de la révocation réfugiés à Berlin, princes du saint-empire qui allaient prendre du service chez le roi très chrétien, gentilshommes français qui venaient apprendre la guerre sous Frédéric II, artistes parisiens appelés en Allemagne pour bâtir aux margraves et aux électeurs des réductions de Versailles, avaient contribué à faire des hautes classes de la Germanie comme une autre société française. Sophie d’Anhalt avait été élevée par une vieille demoiselle, Mlle Gardel, qui avait vu l’éclat du grand siècle, et elle nous a conservé le nom de son maître d’écriture, M. Laurent. Lorsque plus tard, à quatorze ans, elle fit son entrée à la cour de Russie, une révolution intellectuelle s’y était produite. Depuis l’avènement d’Elisabeth, on était en réaction contre l’influence allemande et l’on commençait à mieux connaître la France. Elisabeth, que son père, Pierre le Grand, avait voulu marier à Louis XV, avait conservé des sympathies pour nous; si elle parlait difficilement notre langue, on la parlait fort bien autour d’elle. Son favori, Ivan Schouvalof, s’était épris des modes et des manières françaises, commandait à Paris ses meubles et ses vêtemens, faisait succéder à la parcimonie du régime allemand un luxe qui devait accroître nos relations commerciales. Pour mieux affranchir la Russie des influences tudesques, il fondait l’université de Moscou et l’académie des beaux-arts de Saint-Pétersbourg, où il appelait des maîtres français. Trédiakovski, le poète, Cyrille Razoumovski, le futur président de l’académie des sciences, bien d’autres encore vont s’instruire à Paris : les étudians russes y sont déjà assez nombreux pour qu’on y élève une chapelle orthodoxe. Un Voronzof entre dans la maison militaire du roi de France, et, en qualité de chevau-léger, monte la garde dans les galeries de Versailles. Un Delisle fait partie de l’académie russe; Voltaire sollicite l’honneur d’en être membre correspondant, et, sur des documens rassemblés par Schouvalof, entreprend son Histoire