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Dix ans après le traité qui avait donné à la Prusse un port sur la mer du Nord, l’exécution fédérale contre le Danemark lui donnait le port de Kiel sur la Baltique. A partir de ce moment, les événemens se précipitent. A la guerre du Danemark, en 1864, succède la guerre avec l’Autriche, et le coup de tonnerre de Sadowa retentit sur la France et sur l’Europe comme un sinistre avertissement. Si jusque-là les états de la Confédération avaient pu n’apporter à la création de la marine allemande que le concours d’une tiédeur parcimonieuse, après Sadowa cette tiédeur n’était plus de mise, le temps était passé des réserves et des mauvais vouloirs, et la volonté du maître s’imposait avec une autorité que personne ne songeait plus à contester; ou plutôt, pour être juste et vrai, et nous voulons être l’un et l’autre, le patriotisme allemand, ému et mieux inspiré, ne marchandait plus son concours. Le dévoûment de tous était acquis désormais à l’œuvre commune. Aussi lorsqu’en 1867 le ministre de la marine adressait au parlement fédéral, avec le nouveau programme de la flotte, la demande d’un crédit extraordinaire de 52 millions de thaler, ce crédit était voté sans discussion. En 1873, c’est M. de Bismarck qui vient lui-même présenter de Reichstag un rapport sur la marine de l’empire, sur les travaux accomplis et sur ce qui reste à faire. Il y avait alors deux ans que la paix était faite, et la rançon de la France avait enrichi le trésor allemand. Aussi les aspirations du vainqueur avaient grandi avec sa fortune, et le programme de 1867 ne répondait plus à ces aspirations. Au lieu de dix navires cuirassés de premier rang, on en voulait seize. On voulait vingt navires de croisière et vingt-huit navires-torpilles, avec des monitors, des batteries cuirassées et des chaloupes canonnières pour la défense des côtes. Ce nouveau programme devait être accompli en 1877[1], et pour son exécution le chancelier de l’empire demandait un crédit supplémentaire de 35 millions de thaler.

On vient de rappeler en quelques mots les phases successives qui ont marqué l’enfantement, laborieux dans ses débuts, puis l’accroissement rapide de la marine allemande. Cet exposé n’est pas en dehors du cadre de notre étude, car la force navale est un élément ou plutôt une condition essentielle de la défense des côtes, et nous avons déjà dit comment l’Angleterre, jusque dans ces derniers temps, n’avait pas voulu et n’avait pas eu d’autre défense.

Lorsque éclata la guerre de 1870, la Prusse ne pouvait pas encore prétendre à lutter sur mer contre une puissance qui ne le cédait qu’à l’Angleterre et qui plus d’une fois, dans le cours de son histoire, avait disputé l’empire des mers à sa puissante rivale. Elle dut se résigner à un rôle purement défensif, et le pavillon

  1. Exposé de l’état de la marine fédérale présenté au Reichstag par le chancelier de l’empire.