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de vraies racines de vigne, et l’argument a tourné contre son naïf inventeur. Telle est pourtant la puissance d’une première impression fausse : le gouvernement italien a pris texte de cette erreur pour maintenir contre les produits de l’horticulture en général un système draconien d’exclusion que l’Allemagne avait adopté en principe, mais en l’adoucissant bien vite par des tempéramens dans l’application. L’Algérie, de son côté, a voulu rester à cet égard dans les règles de l’extrême prudence. Elle a pris et maintenu les mêmes mesures d’exclusion contre les produits des pépinières, y compris même les raisins. On peut trouver ces précautions excessives; néanmoins, à la rigueur, la terre restée adhérente aux racines d’arbres fruitiers pourrait receler sur quelques radicelles de vigne un ou plusieurs phylloxéras : c’en serait assez pour infecter en peu d’années toute une région. Voilà pourquoi, revenant sur des impressions premières plus optimistes que mes idées d’aujourd’hui, je ne saurais plaider en pleine sécurité de conscience la cause séduisante du laissez-entrer pour les produits de l’arboriculture fruitière. J’aime mieux à cet égard pécher par excès de scrupule que par excès de confiance dans l’innocuité de ces introductions.

Faudrait-il aller plus loin dans cette voie de précautions excessives et justifier les arrêtés préfectoraux pris dans certains départemens contre le simple transit des sarmens ou même des cépages enracinés? Ici, pour un danger tellement faible qu’on peut le considérer comme imaginaire, on sacrifierait sans profit les intérêts des départemens déjà nombreux qui comptent sur les cépages américains pour reconstituer leurs vignobles. A cela l’on objectera peut-être que le soin de leur sécurité propre justifie un peu l’égoïsme chez les départemens encore épargnés, et que, leur reconnaissant le droit de se défendre, il faut leur en laisser tous les moyens. Mais la défense est-elle ici nécessaire? Évidemment non, si le danger n’existe pas; or ce danger se montrera nul si l’on considère sans parti-pris les conditions matérielles de l’expédition des sarmens suspects. C’est en hiver que s’en fait le transport. Venus presque toujours des États-Unis par la voie du Havre, ces sarmens ou marcottes remplissent de fortes caisses bien fermées avec emballage intérieur de mousse ou de paille à travers lequel rien ne s’échappe. En exigeant cette fermeture hermétique au port d’arrivée ou à la gare de départ, l’infection ne peut se faire sur la route : l’insecte engourdi reste absolument adhérent aux radicelles, s’il en existe, et, comme mille fois sur une il s’agit de sarmens non enracinés, l’insecte vivant ne s’y trouve même pas. Ainsi donc avec ces simples précautions d’un emballage fermé, le laissez-passer peut rester la règle de ces importantes expéditions.