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Et quel champ pour un crayon comme celui-là, que cette fantastique mêlée des chevaliers et des Sarrazins, sur l’antique terre qui a été le berceau de notre religion ! Quels fonds admirables que ces paysages d’Orient, quels éléments pittoresques que tous ces costumes asiatiques, ces armures, ces églises, ces foules agitées ou recueillies, — quelle vie et quel mouvement dans ces cérémonies, ces combats de géans, ces assauts! On serait embarrassé s’il fallait choisir entre ces belles compositions, empreintes souvent d’un sentiment religieux très profond. Deux nous ont particulièrement charmés, le Départ et le Retour; mais la Prédication de Pierre l’Ermite, la Bataille de Nicée, l’Armée chrétienne dans les monts de la Judée, la Prière pour les morts, méritent également d’être citées d’une manière plus spéciale. Inutile de dire que la maison Furne et Jouvet a tenu à faire de cette nouvelle édition de l’Histoire des Croisades une œuvre typographique de premier ordre.

La Chanson du vieux marin nous fait quitter le domaine de la réalité pour nous introduire dans la fantasmagorie des rêves. On sait quel est le sujet du célèbre poème de Coleridge, the Rimes of the old mariner : c’est la sinistre odyssée d’un marin du moyen âge, condamné par les esprits de la mer à expier le meurtre d’un albatros. Après la mort de l’équipage, des anges qui descendent du ciel se glissent dans les corps des matelots pour faire manœuvrer le navire et le ramener des régions polaires dans un port anglais, où l’infortuné matelot est débarqué; mais il doit désormais, pour son châtiment, raconter sans trêve aux passans du chemin ses terribles aventures et ses souffrances infernales. Dans cette sombre légende (dont le texte original est donné ici en regard de l’heureuse traduction en prose que l’on doit à Auguste Barbier), le surnaturel tient une très large place : ce sont des scènes apocalyptiques que seul le crayon de Doré pouvant complètement maîtriser. C’est l’océan sans bornes qui est le théâtre de la plupart de ces hallucinations grandioses, où l’air et les flots se peuplent de visions, où les vagues profilent des corps d’hommes ou d’animaux, où les nuées s’avancent chargées de fantômes : les yeux se fatiguent plus vite à suivre ces cauchemars étranges que le crayon de l’artiste à en varier les terreurs.


Histoire du mobilier, par M. Albert Jacquemart, 1 vol. in-8o orné de gravures ; Hachette.


L’archéologie ne dédaigne point de s’occuper de tous les objets, si humbles qu’ils soient, que le temps a bien voulu respecter. Aujourd’hui M. Albert Jacquemart nous donne une histoire complète du mobilier depuis les âges les plus reculés. Cette histoire est le dernier livre de M. A. Jacquemart, qui a laissé un nom parmi les savans et les artistes. Pendant sa vie, il a cherché à faire faire des progrès aux arts appliqués à l’industrie, et c’est avec raison qu’il est allé prendre les modèles à mettre sous les yeux de nos ouvriers aux sources si riches de la renaissance, de Louis XIV, de Louis XV. Dans les arts céramiques, la compétence