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on voit tout d’abord le palais des Doges, San-Giorgio-Majore, Santa-Maria-del-Salute. La capitale de la Hollande cache un peu plus ses richesses, et le palais du roi, l’ancien rendez-vous des bourgeois d’Amsterdam, n’est pas une œuvre parfaite comme Saint-Marc ou la cour du palais des Doges; la place même du Dam est déparée par le palais de la Bourse, terminé en 1845. La ville n’en offre pas moins un grand caractère; il est vrai que cet effet de grandeur résulte plus du plan suivi, de l’énergie dépensée pour arriver à mettre ce plan à exécution, que des détails souvent heureux que l’on rencontre en parcourant la ville. A Venise, rien de semblable, pas de plan, la fantaisie règne et s’abandonne à tous ses caprices, tandis qu’eu Hollande tout a été fait en vue de la prépondérance maritime, en vue du commerce.

Il n’en est pas moins difficile de dire à laquelle des deux villes on doit accorder la préférence; elles charment également le voyageur, mais par des moyens différens : l’une par son climat, les mœurs gaies de ses habitans, l’autre par son activité, par son esprit d’entreprise; l’une comme l’autre ville possède des monumens splendides, et la peinture hollandaise ne craint certainement pas la comparaison avec l’école vénitienne. Venise, faisant partie aujourd’hui du grand royaume d’Italie, n’a plus rien à redouter de l’étranger; espérons qu’il en sera de même de la Hollande, et que ce petit pays si intéressant n’excitera pas les convoitises de son puissant voisin : l’Allemagne.


Histoire des Croisades, par M. J. Michaud, illustrée de 100 grandes compositions de G. Doré, 2 vol. in-folio; Furne et Jouvet.
La Chanson du vieux marin, poème de Coleridge, traduit par Auguste Barbier, illustré par G. Doré, 1 vol. in-folio; Hachette.


La verve intarissable du crayon de Gustave Doré, si prodigieuse qu’elle soit, ne nous étonne déjà plus; nous sommes désormais faits au spectacle de cette fécondité vraiment extraordinaire. Mais dans la valeur intrinsèque de cette production toujours exubérante, il y a nécessairement quelque inégalité, selon les rencontres plus ou moins heureuses dans le choix des sujets. Or en parcourant les splendides publications de cette année, on peut dire que rarement le célèbre dessinateur s’est trouvé aux prises avec des sujets où son imagination, amoureuse de tout ce qui dépasse les proportions ordinaires, ait pu se donner plus libre carrière. Ici rien ne le gêne, rien ne borne l’élan de sa magnifique fantaisie. Voici d’abord l’Histoire des croisades de Joseph Michaud, que sa verve puissante a entrepris de rajeunir par une série de magistrales compositions. C’est un bon livre qui méritait cet honneur : depuis plus d’un demi-siècle qu’il a paru pour la première fois, c’est encore l’ouvrage classique sur cette grande époque des guerres saintes. Simple, élégant et sans prétention, Michaud a su donner à son livre, comme le reconnaît M. Mignet, « le mérite de l’exactitude et la couleur des vieux siècles. » Les illustrations de Doré lui procureront un regain de popularité.