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noblesse dans le caractère. Il avait de l’âme et il avait du charme, sa dignité savait sourire ; c’était un parfait gentleman dans les lettres comme dans la politique. Il possédait une vertu vraiment admirable, bien rare dans ce siècle, surtout en France : si attaché qu’il fût à ses opinions ou à ses préjugés, il était assez patriote pour sacrifier ses préjugés et ses opinions à son pays. Il était prêt, nous le savons, à se rallier à la république, pourvu qu’elle fût honnête, raisonnable et libérale; il estimait qu’il en fallait faire loyalement l’expérience, et il souhaitait que cette expérience réussît. C’est être bien exigeant que de demander davantage à un royaliste. « M. de Carné regardait la république comme une innovation redoutable, a dit M. Charles Blanc, comme un rêve des plus dangereux. Toutefois cette innovation tant redoutée nous laisse aujourd’hui bien tranquilles, et les périls dont on nous menaçait sont à leur tour devenus des rêves. » Peut-être sommes-nous superstitieux, mais ce mot nous a fait frémir; rien ne nous paraît plus effrayant que la béatitude de l’optimisme, nous avons lu quelque part qu’un bâtiment rangeait un jour pur un temps d’orage une côte dangereuse. Les passagers, qui ne croyaient pas que tous les dangers fussent des rêves, firent part de leurs inquiétudes au capitaine. C’était un optimiste, et il leur répondit en souriant : — Ne craignez rien, je connais tous les récifs de la côte. — Au même instant le navire essuya un choc terrible, accompagné d’un sinistre craquement. — Eh! tenez, justement en voilà un! s’écria le capitaine. — Que le ciel préserve la république française de tous les récifs! Elle a par bonheur un pilote qui parle peu, et c’est la première qualité des pilotes de ne jamais dire un mot de trop. Les boutades d’un académicien ne tirent pas toujours à conséquence ; mais puisque M. Charles Blanc a jugé à propos de faire un peu de politique dans son discours, nous aurions préféré qu’il en parlât sur un ion moins triomphant, et qu’il profitât de l’occasion pour dire à ses amis : Il faut de la sagesse, beaucoup de sagesse pour faire durer les républiques, soyez sages ; il y a parmi vous beaucoup de gens qui ne le sont pas, tenez-les en bride, ou tout est perdu.

M. Charles Blanc a prétendu que M. de Carné, « quand il s’occupait de la révolution française, de celle qui a dépassé les idées de Mounier et de Malouet, perdait tout son sang-froid, qu’il en parlait comme en parlerait un Vendéen.» On nous a rapporté pourtant qu’un jour un candidat à l’Académie, écrivain fort distingué, libre-penseur, mais un peu réactionnaire en politique, s’étant présenté chez M. de Carné pour solliciter sa voix, lui dit : — Je désespère de jamais m’entendre avec vous en religion, mais en politique c’est autre chose. — Ah ! permettez, s’écria M. de Carné, je crains que nous ne soyons condamnés à ne nous entendre sur rien, car si bon catholique que je sois, je suis un fils de la révolution. — A la vérité, il n’aurait jamais conseillé à la république.