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ne fait plus ses frais. Apparemment l’homme qui a brigué les suffrages de la docte compagnie s’en croyait digne; on n’est pas allé le chercher, il s’est présenté, il a fait valoir ses titres et ses mérites. Ils sont rares les Maurice de Saxe à qui on offre un fauteuil et qui le refusent en disant : « Ils veulent me faire de l’Académie, cela m’irait comme une bague à un chat. » Où est aujourd’hui le chat qui refuse une bague? Le public a remarqué aussi que le directeur de l’Académie, tout en donnant l’accolade au nouveau venu, se permettait de prendre la mesure du quarantième grand homme, et qu’il mêlait aux aménités les malices, les pointes et un peu de persiflage. Le public ne s’en plaint pas; il aime assez les joutes à armes courtoises ou même à griffes émoulues; il est juge des coups. Il préfère aux longs et filandreux complimens d’autrefois ce que M. Legouvé appelait ingénieusement « des panégyriques tempérés par des épigrammes. »

Les amateurs d’épigrammes ont trouvé à se satisfaire dans la séance de réception de M. Charles Blanc. Cette séance a été piquante, elle a offert de l’imprévu. Les deux orateurs ont réussi à étonner leur auditoire en sortant de leur caractère ou du moins de celui qu’on leur supposait. L’auteur de la Grammaire des arts du dessin, connu par la bonne grâce de son esprit, par sa bienveillance pour les vivans et pour les morts, par l’enjouement de son humeur, semble s’être appliqué à être presque maussade en parlant de son prédécesseur, le regrettable M. de Carné, et M. Camille Roussel, qu’on ne soupçonnait point d’être armé en guerre, a tiré de son carquois des flèches barbelées qui ont volé dans l’air en sifflant. M. Charles Blanc n’en est pas mort; grâce à Dieu, ni la vie ni la santé d’un critique d’art ne sont à la merci des épigrammes d’un historien. Peut-être s’est-il senti atteint, il ne doit s’en prendre qu’à lui-même. Pourquoi avait-il traité M. de Carné avec un peu de sécheresse et d’ironie? que lui a fait M. de Carné? Il avait été obligé de le lire pour composer son discours; s’est-il écrié comme Voltaire parlant de saint Augustin : je l’ai lu, il me le paiera? Vraiment nous ne trouvons pas M. Charles Blanc fort à plaindre pour avoir lu des ouvrages que nous aimons à relire. Il a reconnu lui-même que les Souvenirs de jeunesse sont un livre charmant, et il en a tiré des portraits, des mots heureux et fins, de spirituelles anecdotes, qui ont servi à l’ornement de son discours. En revanche il a expédié promptement le remarquable Essai sur les fondateurs de l’unité française; il s’est plaint que M. de Carné écrivait dans un style « tendu et convenu, » et il n’a vu dans sa carrière politique qu’un prétexte pour citer l’Histoire de dix ans.

Il y a eu des écrivains plus brillans que M. de Carné; il en est peu qui aient su inspirer à leurs lecteurs un respect mêlé de plus de sympathie, il n’en est point qui aient eu des sentimens plus élevés, plus de