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De l’abolition du pouvoir temporel il prétendait faire un moyen d’affranchissement pour la papauté spirituelle. En échange de la liberté complète qu’il revendiquait pour l’état, il était prêt à donner toutes les libertés, et si on lui faisait remarquer que ce ne serait peut-être pas sans péril, que dans certaines provinces l’autorité civile avait besoin de garder une action sur un clergé fanatique, mal soumis ou hostile, il ne se laissait pas arrêter par ces préoccupations ; il ne doutait pas des effets bienfaisans d’un régime libéral. Il voulait ennoblir la renaissance de l’Italie par quelque acte mémorable, et à M. Artom, qui lui soumettait ses doutes, il répondait avec une sorte d’enthousiasme : « C’est à nous qu’il appartient de mettre fin au grand combat engagé entre l’église et la civilisation… Quoi que vous en disiez, je garde l’espoir d’amener peu à peu les prêtres les plus éclairés, les catholiques de bonne foi à accepter cette manière de voir. Peut-être pourrai-je signer du haut du Capitole une autre paix de religion, un traité qui aura, pour l’avenir des sociétés humaines, des conséquences bien autrement grandes que la paix de Westphalie ! »

Cette intrépidité généreuse et confiante, c’est ce qui a fait la puissance de Cavour. Il y avait pour lui deux choses : il y avait cette conception libérale qui est restée liée à la résurrection italienne, et, en attendant la réalisation de ce beau rêve, s’il devait jamais cesser d’être un rêve, il y avait du moins à vivre tout simplement, à préparer les moyens d’arriver au but. Cavour, en esprit pratique, ne négligeait rien ; au moment même de sa mort, il avait tout combiné, et il laissait la solution toute prête à ses successeurs. Cet arrangement, qu’il négociait avec Paris, qui était déjà près d’être signé et que sa mort seule suspendait, — c’est ce qui est devenu la convention du 15 septembre 1864 ! Ce projet, cet ensemble de conditions, qui était l’objet de négociations secrètes avec le pape et le cardinal Antonelli aux premiers mois de 1861, — c’est ce qui est devenu dix ans plus tard la loi des garanties ! Tout se liait dans cette politique à laquelle l’Italie a dû peut-être de pouvoir entrer à Rome sans ébranler le monde religieux, et dont elle n’est point assurément intéressée à s’écarter.

Ce que je veux montrer enfin, c’est la pensée de Cavour dans ce travail de diplomatie qui, depuis le premier jour de son avènement au ministère, a été, lui aussi, une des parties les plus essentielles de sa politique. C’est par la force du sentiment national, par la propagande libérale du Piémont et du gouvernement constitutionnel que l’Italie s’est faite, je le veux bien ; en réalité, elle n’est devenue possible que par la diplomatie la plus prévoyante et la plus alerte, poursuivant son œuvre tantôt par des traités de commerce, tantôt