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gravité. On se disait qu’il fallait en finir, que pour l’honneur même des institutions libérales le parlement était tenu de sauvegarder sa dignité, dût-il atteindre le plus populaire des hommes et lui montrer qu’il ne pouvait avoir l’inviolabilité de l’injure.

Qui prendrait l’initiative? Si c’était le gouvernement, ce serait peut-être trop officiel, et d’ailleurs le président du conseil ne voulait pas paraître relever des offenses qui s’adressaient à lui plus qu’à tout autre; si c’était un député trop engagé par ses opinions ou obscur, la démonstration parlementaire pourrait s’égarer ou ne point avoir toute sa portée, il y avait dans le parlement un homme fait pour le rôle, c’était le baron Bettino Ricasoli. Par son action énergique et décisive dans les événemens qui avaient préparé l’unité, par ses relations avec Garibaldi pendant l’interrègne de l’Italie du centre, par son indépendance personnelle comme par son caractère, il réunissait toutes les conditions et il était de taille à se mesurer avec tout le monde.

L’ancien dictateur de Florence venait justement d’arriver à Turin, et, à sa première apparition dans la chambre, il ne laissait pas de produire une certaine impression avec sa démarche grave, sa fière mine, sa tenue empreinte d’une dignité naturelle et sévère. Sa présence inspirait une curiosité mêlée de respect. Le baron florentin, comme bien d’autres, s’était senti blessé des violences de Garibaldi; il se chargeait spontanément de relever le défi, de venger les institutions, et par lui toute démonstration parlementaire prenait nécessairement le caractère le plus sérieux. Ricasoli se proposait de demander au gouvernement des explications sur les mesures qu’il avait prises ou qu’il devait prendre à l’égard de l’armée méridionale et sur le développement des forces militaires de la nation; mais avant tout il avait un premier compte à régler, il voulait mettre fin aux anxiétés qui régnaient depuis quelques jours, et c’est au milieu d’une assemblée inquiète que, le 10 avril, il se levait, commandant aussitôt le silence autour de lui.

On le connaissait comme dictateur de Florence, on ne savait pas encore ce qu’il pouvait être comme orateur ni même ce qu’il allait dire, lorsque, d’un accent net, vibrant et impérieux, qui s’échauffait par degrés, il laissait tomber ces mots foudroyans : « Une calomnie a circulé sur un des membres de l’assemblée. On a attribué au général Garibaldi des paroles hostiles à la majorité du parlement. Ces paroles ne peuvent avoir été prononcées par lui. Je le connais, je lui ai serré la main au moment où il a pris le commandement de l’armée du centre; nous étions alors animés des mêmes sentimens, nous étions tous deux également dévoués au roi. Nous avons juré tous deux de faire notre devoir : J’ai fait le mien!.. Qui