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populaire, où les passions incandescentes, surtout dans le midi, pouvaient se jeter dans quelque aventure du côté de Rome, de Venise, et où une tentative folle risquait de ruiner les combinaisons de la politique la plus prévoyante.

Que fallait-il pour raviver une lutte comme celle que Cavour avait eu à soutenir avec Garibaldi au mois d’octobre 1860? Peut-être un prétexte, un incident imprévu, et ni les incidens ni les prétextes ne manquaient à ce printemps de 1861, — un de ces printemps orageux du siècle qui, selon le mot de lord Palmerston, débutaient comme des lions. Le prétexte du moment, c’était la dissolution ou la réorganisation de l’armée méridionale, c’est-à-dire des volontaires qui avaient fait avec Garibaldi la campagne de Sicile et de Naples. Évidemment on ne pouvait laisser subsister cette force irrégulière, bonne tout au plus pour une aventure comme l’expédition de Sicile ou pour les grandes circonstances. Le ministre de la guerre, le général Fanti, ne le voulait pas dans l’intérêt militaire, Cavour lui-même ne pouvait y consentir dans l’intérêt diplomatique. On y avait mis de justes ménagemens : avec les chefs principaux, les Bixio, les Cozenz, les Medici, on faisait des généraux qui ont été dignes de leur fortune ; on offrait à nombre d’officiers les moyens d’entrer définitivement dans l’armée nationale; on maintenait enfin le principe de l’institution des volontaires. L’armée méridionale, telle qu’elle avait existé, ne restait pas moins dissoute, — et peut-être aussi le ministre de la guerre commettait-il quelques maladresses de langage dans l’exécution de ces délicates mesures. Il n’en fallait pas plus pour réveiller chez Garibaldi les animosités les plus vives, les colères les plus violentes, et c’était là justement l’occasion d’un de ces conflits que Cavour ne recherchait pas, dont il s’inquiétait au contraire, mais qu’il acceptait sans esprit de provocation comme sans faiblesse. On sentait que la querelle du mois d’octobre n’avait été que mal apaisée, qu’elle pouvait à chaque instant se ranimer dans tout son feu et peut-être aussi avec tous ses dangers.


II.

Le malheur de Garibaldi était de ne pas se contenter d’être un personnage à part, de prendre ses fantaisies guerrières ou révolutionnaires pour une politique, et de croire naïvement qu’il pouvait tout se permettre.

Arrêté dans ses projets sur Rome et sur Venise, après l’annexion de Naples, Garibaldi avait emporté dans son île de Caprera l’amertume d’un cœur déçu et irrité, plein d’un immortel ressentiment