Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/194

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la plus déliée vis-à-vis de l’Autriche, mais encore de retrouver des intelligences en Europe, de dissiper les préjugés et les ombrages qu’avaient suscités les derniers événemens, de réconcilier en un mot toutes les politiques à cette idée de l’unité italienne, d’une puissance nouvelle. Avec l’Angleterre, ce n’était pas difficile. Le cabinet de Londres se faisait son garant, son protecteur auprès des gouvernemens, même à Vienne. Qu’il promît de ne point attaquer l’Autriche à main armée sur le Mincio, de ne pas donner le signal d’une guerre européenne, l’Angleterre ne lui demandait rien de plus. Ce n’était pas aussi aisé avec la Russie et la Prusse, qui avaient témoigné leur mécontentement par une rupture éclatante et par le rappel de leurs ministres de Turin. Malgré tout, Cavour ne désespérait pas de calmer les deux puissances du Nord, au moins la Prusse, qu’il ne cessait de flatter dans ses ambitions secrètes, qu’il comptait rallier à sa cause. Il avait eu l’habileté de ne pas prendre trop au sérieux la rupture qui lui avait été signifiée; il n’attendait qu’une occasion de renouer avec la Prusse, et, dès les premiers jours de 1861, au moment où le prince-régent, celui qui devait être l’empereur Guillaume, allait ceindre la couronne, il envoyait le général La Marmora avec une mission particulière à Berlin.

A vrai dire, sous l’apparence d’un acte de courtoisie royale de Victor-Emmanuel à l’égard du souverain prussien, ce n’était que la continuation ou le renouvellement après la guerre et les annexions de la mission du marquis Pepoli avant la guerre de 1859. Cavour procédait en tentateur et en politique au regard perçant. Il s’étudiait à rassurer la Prusse sur ses intentions pacifiques, en lui persuadant que cette question de la Vénétie, qui l’inquiétait, n’avait pas l’importance que l’artificieuse Autriche voulait lui donner pour la défense allemande. La Marmora était surtout chargé de répéter dans toutes ses conversations à Berlin que les deux gouvernemens avaient des intérêts communs, que l’un et l’autre tiraient leur force de l’idée nationale qu’ils représentaient, que l’Italie constituée ne pouvait être qu’une alliée naturelle et utile pour la Prusse, appelée à conquérir l’hégémonie en Allemagne. Le roi Guillaume n’avait pas encore eu le temps de s’accoutumer à ces perspectives qu’une autre main hardie allait bientôt lui ouvrir « par le fer et le feu. » Il recevait le général La Marmora avec faveur, sans dire un mot sur les événemens qui venaient de s’accomplir au-delà des Alpes. Le ministre des affaires étrangères, M. de Schleinitz, acceptait volontiers la conversation et il avait un langage à demi réservé, à demi sympathique, expression de l’attitude indécise de la Prusse. « Sans doute, disait-il, entre le Piémont et la Prusse il y a une analogie