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qui rétablit les seigneurs dans leurs dignités pour aller faire sa cour au roi. Il s’associa à une démarche faite pour obtenir la mise en liberté de Condé; mais Luynes s’y opposa, et Bouillon s’assura par là que le nouveau favori était et serait un maître aussi dangereux que l’ancien. Il retourna à Sedan, après avoir obtenu du roi la neutralité pour ses villes et terres, au cas où le roi serait obligé de faire la guerre à ses sujets calvinistes.

Dans sa retraite, il songeait à fonder une académie pour attirer la jeune noblesse d’Allemagne, des Pays-Bas et de France. Il aurait voulu faire de Sedan un centre qui rayonnât sur divers pays, il commençait déjà à former la bibliothèque de cette académie; mais toutes sortes d’affaires l’arrachaient sans cesse à son repos. Il fut d’abord occupé de celles de la reine mère exilée à Blois. Un abbé de Rucellai, Florentin, riche et voluptueux, s’avisa de vouloir faire tirer la reine de l’exil, d’émouvoir en faveur de sa bienfaitrice les seigneurs mécontens. Il fit des ouvertures à Bouillon, qui prudemment le renvoya à d’Épernon. Celui-ci écouta favorablement Rucellai, et l’on ébaucha une sorte de traité. Luynes s’émut de ce roman de conspiration, il dicta au roi une lettre où celui-ci demandait à Bouillon des avis sur l’état du royaume. Bouillon s’enveloppa dans un nuage de généralités, et quand Luynes peu après envoya Bassompierre en Champagne, Bouillon le fit sonder par un gentilhomme huguenot. Il le trouva intraitable, décidé à rester du côté où se rencontrerait la personne du roi, et comme on disait alors, « le sceau et la cire. » Aussi ne bougea-t-il point de Sedan, et la petite armée de Marie de Médicis fut mise en déroute au pont de Cé.

Il semble que Bouillon n’ait jamais pris au sérieux les tentatives de la reine mère : il resta pourtant en rapport avec Rucellai, comme nous le verrons tout à l’heure. Son esprit était alors entièrement absorbé par les grandes affaires du prince palatin. Après la révolte de la Bohême contre Ferdinand, Bouillon, d’accord avec le prince d’Orange, avait voulu élever sur le trône de ce pays son neveu, un prince calviniste; l’entreprise semblait téméraire, elle offensait la maison d’Autriche, le pape, le duc de Savoie, tous les princes catholiques, elle réussit pourtant : les évangélistes de Bohême, encore puissans, éblouis par l’alliance du roi d’Angleterre, beau-père du palatin, des calvinistes de France et des Pays-Bas, offrirent la couronne au palatin. Bouillon répondait à quelques amis qu’il avait à la cour et qui se préoccupaient des promotions dans l’ordre du Saint-Esprit : « Vous pensez à faire des chevaliers, nous travaillons à faire des rois ». Mais il n’avait pu que souffler son audace et son ambition au palatin, qui, loin de lui, était comme un