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La perception des droits de douane en or est un expédient dont des états aux abois se peuvent servir, mais encore faut-il par là ne point tarir une de leurs principales sources de revenu. S’il veut se procurer du numéraire, le gouvernement russe est libre de s’adresser à la douane; mais, pour que celle-ci lui en pût fournir, au moins eût-il fallu abaisser les droits d’entrée dans la proportion de l’agio durant les derniers mois. En tout cas, il y a une illusion dont il faut se garder, c’est de croire que l’or ainsi perçu à la frontière est prélevé sur l’étranger et non sur les nationaux. Ce serait là une erreur des plus grossières : c’est l’importateur de Pétersbourg ou de Moscou qui soldera les droits de douane, et c’est le consommateur russe qui les remboursera à l’importateur[1]. A cet égard, il en est de la douane comme de tout autre impôt, c’est toujours de l’argent russe que touche le trésor russe, et si l’on voulait tenter d’atteindre la bourse des étrangers, ce n’est pas à l’importation, c’est plutôt à l’exportation qu’il eût fallu mettre des droits. L’état pourrait tout aussi bien demander de l’or à d’autres impôts. Les douanes n’offrent de ce côté qu’un seul mais réel avantage au trésor, c’est qu’à la frontière il lui est plus qu’à l’intérieur loisible d’exiger de l’or, et que cette inégalité mise dans la perception des taxes est moins sensible et moins choquante pour la masse des contribuables. Ce qu’il fait pour les douanes, le gouvernement russe pourrait cependant se trouver amené un jour à le faire pour d’autres taxes. D’autres états lui en ont donné l’exemple et ont voulu percevoir en numéraire l’impôt sur le tabac ou les droits de poste. De semblables procédés, alors même que la nécessité les excuse, ont toujours un grave inconvénient. C’est pour échapper aux conséquences de la dépréciation de son papier qu’un gouvernement recourt à de tels expédiens, et l’un de leurs effets naturels est de contribuer à l’avilissement de ce papier. L’état, en refusant malgré ses engagemens inscrits sur ses billets de les recevoir au pair, enseigne lui-même à ses sujets comme à l’étranger à s’en défier et à s’en défaire.

En matière de douane, l’intérêt du fisc est secondaire, disent certains apologistes de la nouvelle mesure; ce qui importe avant tout, c’est la balance du commerce. Tant mieux pour la Russie si

  1. Voyez à ce sujet l’Économiste français du 9 décembre 1876.