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a retiré des mines ou des lavages d’or de la Sibérie plus de 3 milliards de francs, et toute cette richesse métallique n’a pu la préserver de la gêne du cours forcé. L’exploitation des mines, et surtout la législation qui les régit, laissent, de l’aveu de tous, beaucoup à désirer : la production pourrait ainsi s’élever au-dessus de ce qu’elle est aujourd’hui. Le gouvernement russe l’a senti, et pour faire face aux difficultés présentes, une de ses premières mesures a été d’abolir l’impôt sur l’extraction de l’or, impôt qui rapportait au trésor 2 ou 3 millions de roubles. C’est là une décision qui, si elle stimule la production, peut avoir des effets utiles en temps de paix comme en temps de guerre, dans un cas en aidant la Russie à traverser une crise monétaire, dans l’autre en l’aidant à s’affranchir définitivement du cours forcé[1].

En résumé, le papier-monnaie n’est, en Russie comme ailleurs, qu’une dette nationale, et, comme toute autre dette, celle-ci est d’autant plus dépréciée qu’elle est plus considérable et que le débiteur est exposé à plus d’embarras. Là comme ailleurs, cette masse de papier, qui pèse si lourdement sur la Russie, est le legs de la guerre, et chaque fois qu’une guerre nouvelle menace de venir l’accroître, le poids du papier devient instantanément plus lourd, et le commerce privé et les finances publiques le sentent davantage s’appesantir sur eux. Les émissions de papier ne peuvent impunément se multiplier, un pays n’en saurait supporter au-delà d’une certaine charge. Un accroissement démesuré du nombre de billets en circulation serait pour la Russie une entrave qui pourrait retarder sa marche d’un quart ou d’un demi-siècle, et risquerait de la faire choir en route. Avec le maintien de la paix, rien de semblable à craindre, plus de raison de forcer les émissions et, par contre, plus de motif de dépréciation pour les billets.

C’est là un point qu’il ne faut pas perdre de vue : si lourd que

  1. Il est intéressant de connaître les tableaux dressés par la douane du mouvement des métaux précieux; ces tableaux ne peuvent du reste présenter la même précision que pour les autres marchandises. Au 18/30 novembre 1876, l’importation de l’or et de l’argent, en monnaie et en lingots, aurait été pour l’an dernier de 3,261,000 roubles, inférieure de 1 million à celle de 1875 et de près de 5 millions à celle de 1874. L’exportation des espèces métalliques atteignait à la même date le chiffre de 87 millions de roubles, supérieur de 66 millions de roubles à celui de 1875 et de plus de 75 millions à celui de 1874. Une pareille émigration du numéraire dans l’année qui vient de s’écouler donne la mesure des inquiétudes et des besoins des derniers mois. Aussi ne sont-ce pas là les chiffres habituels. En 1874, la douane accusait 17 millions de roubles à l’exportation et 16 à l’importation; en 1873 et 1872, cette dernière l’avait même notablement emporté (29 millions contre 13 et 14 contre 8), en sorte qu’à s’en tenir aux tableaux officiels, la Russie aurait dans ces deux dernières années, grâce sans doute à ses bonnes récoltes précédentes, reçu plus de numéraire de l’étranger qu’elle ne lui en aurait envoyé. Il en avait été de même en 1868 et 1869, tandis que dans l’intervalle les exportations d’or et d’argent avaient été très supérieures à l’importation.