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Dès 1849, les nouveaux billets en circulation montaient à plus de 300 millions de roubles; en 1855, cette somme était doublée. En même temps que les billets s’accumulaient pour fournir aux frais de la guerre, le fonds d’échange qui leur servait de garantie se réduisait et s’évanouissait peu à peu pour faire face aux mêmes besoins. Le remboursement en numéraire, temporairement suspendu, devenait définitivement impossible. Le billet de crédit, qui portait, qui porte encore aujourd’hui le nom presque dérisoire de rouble argent, devenait du papier-monnaie, comme les assignats qu’il avait remplacés, et subissait à son tour une dépréciation considérable. C’est au lendemain du traité de Paris, en 1857, que les émissions de billets parvinrent à leur apogée, 735 millions de roubles, soit près de 3 milliards de francs. Depuis lors, le gouvernement réparateur d’Alexandre II s’est, pendant vingt ans de paix, employé à remédier au mal et à faire rentrer l’excédant des billets qui encombraient le marché. Au moment où, après un règne entier d’efforts, la Russie semblait se rapprocher du but, voilà que des complications extérieures parties du même côté viennent remettre en question l’œuvre d’Alexandre II, de même que jadis celle de Nicolas Ier , comme si les affaires d’Orient, qui sous Catherine II ont précipité la Russie dans le papier-monnaie, devaient toujours l’empêcher d’en sortir ou l’y replonger. A l’heure où nous écrivons, le papier en circulation, patiemment réduit pendant la paix, est remonté au même niveau qu’à la fin de la guerre de Crimée. D’après les derniers bilans de la banque de l’état[1], il est en ce moment de 735 millions de roubles, exactement le chiffre maximum des années qui ont suivi le siège de Sébastopol, comme s’il y avait dans ce rapprochement un jeu ironique ou un salutaire avertissement de la fortune.

Le principal instrument du gouvernement russe, dans cette lutte nouvelle contre le débordement du papier-monnaie, a été la banque de l’état inaugurée en 1860. Le but de cet établissement devait être de raffermir le système de la monnaie fiduciaire. La banque, écrivait M. Wolowski[2], est une vaste machine de liquidation du papier et de la dette flottante. La première chose était naturellement de reconstituer le fonds de garantie métallique, entamé et presque épuisé par la guerre de Crimée. C’est ce qu’a fait le gouvernement à l’aide d’emprunts à l’étranger, et, en cas de besoins extraordinaires, il pourrait aujourd’hui trouver là des ressources importantes. A cet égard, la Russie peut profiter des facultés momentanées qu’assure aux états modernes le papier-monnaie. Selon la juste image d’un de nos collaborateurs qui, récemment étudiait ici même les effets de la circulation fiduciaire en

  1. Bilan de la banque de l’état du 22 novembre (4 décembre) 1876.
  2. Wolowski, les Finances de la Russie.