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récente expérience, ce que peut dans l’attaque des places de guerre la nouvelle artillerie. Les conditions de la défense ont donc changé depuis trente-cinq ans; elles ont changé pour la frontière maritime aussi bien que pour celle de terre. On voudrait examiner ici, en ce qui concerne la frontière maritime, ce que sont devenues ces conditions; mais, avant d’entrer dans cet examen et de rechercher les conséquences de ces conquêtes que la guerre moderne s’est appropriées, il convient de jeter un coup d’œil sur le passé encore bien près de nous qui les a précédées.


I.

La défense des frontières de mer a tenu de tout temps une grande place dans les préoccupations des nations maritimes. C’est le but que l’Angleterre d’une part, l’Espagne et la France de l’autre, à travers les péripéties de leurs longues querelles et leurs fortunes diverses, ont poursuivi de leurs constans efforts; mais, si le but était le même, les moyens différaient. Tandis que l’Espagne et la France demandaient la sécurité de cette frontière à de grands et coûteux travaux de fortification, l’Angleterre, justement fière de sa suprématie navale, se reposait du soin de protéger ses rivages sur ses vaisseaux, ses murailles de bois (wooden walls), comme elle se plaisait à les appeler. L’Espagne, au temps de sa splendeur, n’avait pas seulement à défendre ses propres rivages, son territoire européen; il fallait encore mettre à l’abri des atteintes de l’ennemi ce vaste empire colonial dont elle entendait fermer l’accès au reste du monde. Aussi partout où elle a fait flotter ses couleurs, dans la mer de Chine comme dans l’Océan indien, dans les Antilles comme sur le continent de l’Amérique du Sud, a-t-elle laissé d’imposans travaux de fortification. Elle y avait épuisé, avec l’or de la Nouvelle-Espagne, la science de ses habiles ingénieurs. La France, elle aussi, avait couvert ses rivages d’un réseau de fortifications. Arsenaux et villes de commerce, villages de pêcheurs, îles et plages, ce réseau embrassait tout. Partout où l’ennemi aurait pu prendre pied, on voyait s’élever un ouvrage défensif, fort, fortin ou simple batterie; c’était l’éparpillement de la défense. Et cet éparpillement était logique, il était nécessaire, car avec des communications souvent mal assurées, lentes et incertaines en tout temps, chaque point vulnérable était comme isolé, et c’est surplace qu’il fallait le défendre; personnel et matériel devaient donc s’y trouver réunis et localisés.

C’était là, insistons sur ce point, le trait distinctif, la caractéristique du système défensif de notre frontière maritime. L’empire, pendant la longue période de ses guerres, avait complété ce réseau;