Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/101

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans une gaîne, qu’ils fixent solidement à hauteur de l’ergot. Aussitôt qu’un combat est fini, deux nouveaux adversaires entrent dans l’arène, désignés par le sort et appelés par un maître de camp qui accomplit ses fonctions avec une gravité comique. Les deux rivaux, tenant toujours leur combattant sous le bras, attendent que les paris soient fixés et que le signal de la lutte soit donné. C’est le moment où l’assemblée s’anime : on se jette à distance des paris; un Indien me met dans la main quatre piastres en m’offrant de les tenir contre lui; un Anglais, mon voisin, ne résiste pas à ce genre de sport et prend le défi à son compte. Mais les paris sont clos : les deux adversaires s’avancent alors l’un sur l’autre, et chacun d’eux permet à l’autre un coup de bec sous la plume, pour mieux exaspérer la fureur des antagonistes; enfin, quand il semblent à point, l’éperon est dégainé des deux parts et les deux combattans sont lâchés. C’est alors que commence entre les belliqueux animaux une scène d’escrime des plus acharnées. Comme deux duellistes, tantôt ils se précipitent à la rencontre l’un de l’autre avec furie, tantôt ils rompent pour saisir l’adversaire en défaut, voleter sur sa tête et lui enfoncer l’éperon dans le flanc ou dans le dos. Quelquefois l’un d’eux, blessé, use de feinte, recule jusqu’à la palissade qui forme le champ clos, et, quand l’autre arrive pour l’achever, lui détache une botte mortelle. Il faut entendre alors les hurlemens de la foule, les trépignemens de joie et d’admiration. Souvent les athlètes, blessés tous deux, roulent l’un après l’autre dans la même mare de sang, jonchée de plumes. Parfois ils refusent la lutte, se contentent de se défier par un gloussement menaçant, mais sans s’aborder; il faut alors que les patrons viennent à la rescousse pour les caresser, les encourager de la voix et les décider à engager le combat : rarement on est obligé de les remporter sans qu’ils aient daigné en venir aux... pattes; plus rarement encore, l’un d’eux s’enfuit sans résistance devant l’autre : il est alors couvert de huées, et son maître honteux s’empresse de le reprendre et court se cacher. En cas de doute sur l’issue du tournoi, quand il a fait deux victimes, c’est le héraut qui décide, et tous s’inclinent devant son verdict. A peine une joute est-elle terminée qu’une autre recommence, avec des péripéties plus ou moins émouvantes dont l’assistance ne se lasse jamais. Des parieurs risquent là quelquefois des sommes énormes relativement à leur fortune, poussés par cette fièvre malsaine des paresseux qui aiment mieux jouer leur dernière pistole sur un coup de dés que de gagner modestement leur pain à la sueur de leur front.

3. — Visite à la manufacture de cigares de Fortin, située sur le bord du Passig, dans Manille même : c’est la plus importante, me dit-on; celle de Cavité située sur la baie, en face de la capitale,