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sauf-conduit, qui permettait à Bouillon de se retirer librement où bon lui semblerait, après avoir vu le roi[1].

Le 19 octobre, le roi se décida à écrire lui-même à Bouillon et lui enjoignit de se rendre auprès de lui. Bouillon désobéit et partit pour Castres, où il y avait, en vertu de l’édit de Nantes, une chambre mi-partie. Nous allons suivre ses mouvemens dans une correspondance, encore inédite, conservée aux Archives nationales. Il quitte Turenne, et il écrit à la duchesse de Bouillon, de Briatexte.


« Mon cœur, je passay la journée d’hier sans vous escrire… À Villemur, le lieutenant-général, les deux premiers consuls et M. Béraut me vindrent trouver avec toutes les ofres de la ville que je pouvois espérer ; je leur fis antandre l’ocasion de mon voyage, qu’ils trouvèrent sy à propos qu’ils connurent que l’esprit de Dieu me guidoit ; et qu’en ce fet toutes les esglises estoyent plus intéressées que moy, que leur ville y porteroit tout ce quy éstoit dens, qu’ils escriroient à ceus de Castres à ce qu’ils ne fissent rien contre les termes de l’esdit, quoy qu’on leur put commander que eus, et s’assuroyent que toutes les esglises se joindroyent en cella ; le conseil de la provinse s’assamble, le sinode provinsial s’assamblera pour desputer vers leurs desputés ; anfin, je trouve que mon Dieu se prespare leurs cœurs ainsy qu’il me l’avoit fet espérer. Je m’an vois ce jourd’uy moyenant son aide, consilier à Castres où est M. de Vantadour[2].


À Castres, Bouillon présenta une requête, à la chambre pour être reçu à se justifier, et demanda en même temps un arrêt qui l’empêchât d’être jugé par contumace. La chambre se déclara incompétente à recevoir les justifications du duc de Bouillon, et le renvoya devant les juges que nommerait le roi ; mais elle lui accorda un arrêt pour sa sûreté, lui donnant acte de s’être présenté devant la cour, qu’il croyait compétente. De Castres, Bouillon se rendit à Montpellier ; il y parla devant les calvinistes et protesta de son innocence. Il pria ses coreligionnaires de ne pas renouveler les guerres civiles, mais d’intercéder pour lui en faveur du roi. Rien cependant ne put le déterminer à se livrer à Henri IV ; avant de quitter la France il écrivit à sa femme :


« Vous aurés maintenant de mes lettrés moins souvant, m’eslongnant du corps de vous, mes m’an aproschant de l’esprit, me représantant vos soussis et le mal qu’ils vous peuvent faire. Au mesme temps, je voy les assistances que Dieu continue à m’anvoyer, m’ayant randu jusques issy toutes choses favorables ; ces tesmongnages singulliers de sa

  1. Économies royales de Sully, t. II, p. 75.
  2. Le duc de Ventadour était lieutenant-général du Languedoc.