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me coûte trop cher. » Bouillon n’eut pas d’autres succès : il chercha à faire lever aux Espagnols le siège de Dourlens, mais il fut repoussé. La calomnie l’accusa d’avoir battu trop vite en retraite et d’avoir laissé complètement écraser Villars ; cependant celui-ci avait méprisé tous les ordres qu’il avait reçus et avait payé sa désobéissance de la vie.

Tout le monde commençait à murmurer contre Henri IV : cette guerre, que Bouillon avait excitée, n’avait amené que des revers ; l’Espagnol occupait la Picardie, le Boulonnais. Dourlens avait été pris et sa garnison passée au fil de l’épée. Fuentès tomba sur Cambrai, qui laissa entrer les ennemis. Henri IV ne pouvait plus acheter que par sa conversion la soumission de ses ennemis français. Pour lutter contre l’Espagne, il avait grand besoin d’Elisabeth et des États. Cette fois encore, il confia ses intérêts à Bouillon, heureux peut-être d’écarter des champs de bataille du nord de la France un lieutenant qui était aussi habile négociateur que médiocre général. Bouillon trouva en Angleterre Elisabeth refroidie et irritée contre ce qu’elle appelait l’apostasie du roi, Essex peu disposé à mettre la flotte anglaise au service de la France, Cecil hautain, insolent, craignant toujours de voir Henri IV faire la paix avec l’Espagne aux dépens des États néerlandais. Elisabeth, qui tenait encore Flessingue et Brille en Hollande comme gage de ses subsides, parla d’échanger une de ces places contre Calais et osa demander qu’Henri IV engageât ce port. Le roi fut justement indigné ; « Mieux vaut, s’écria-t-il, être dépouillé par ses ennemis que par ses amis. » Bouillon se tira d’affaire au milieu de toutes ces difficultés ; il tint tête à Cecil, il flatta l’orgueil de la reine ; calviniste, il l’assura que la conversion du roi avait été forcée, il lui donna des assurances contre l’Espagne ; enfin il obtint dans les conférences de Greenwich un bon traité d’alliance défensive et offensive contre l’Espagne, et il se hâta de le porter en Hollande pour faire entrer les États dans l’alliance. L’Angleterre avait obtenu la liberté du commerce dans nos ports et s’était engagée à fournir 4,000 hommes pour faire la guerre en Picardie et en Normandie. Le traité avec l’Angleterre fut ratifié à Melun le 29 août 1596 ; le traité avec les États le fut à Rouen en janvier 1597.

Pendant ces négociations, Calais avait été pris par l’archiduc Albert, mais Philippe II commençait à se décourager ; les ligueurs avaient reconnu enfin le roi de France : on sentait que la paix générale était proche. La prise d’Amiens fut le dernier triomphe de l’Espagne. Henri IV lui reprit cette ville après un siège de cinq mois. On s’étonne de ne pas voir Bouillon assister à ce siège, comme il l’avait d’abord promis ; il resta pendant ce temps en Auvergne et dans le Gévaudan, où il y avait encore beaucoup de troubles.