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complète. Le soir venu, il donna à Turenne les corps de Joyeuse et de Saint-Sauveur, son frère, qui furent envoyés à Paris dans des cercueils de plomb.

Pour la première fois, la fortune souriait aux protestans ; mais le roi de Navarre ne profita pas, autant qu’il aurait pu faire, de ses avantages. Il se plaignit plus tard à Sully que Turenne, après Coutras, eût arrêté son élan : le vicomte avait représenté combien il était difficile de joindre les Allemands ; pendant que le roi allait en Béarn retrouver la comtesse de Grammont, Turenne lui débaucha un tiers de son armée ; il resta dans le Périgord, où il ne réussit pas à prendre une bicoque. Sully l’accusa toujours de n’avoir pensé qu’à ses propres intérêts et le soupçonna d’avoir voulu se rendre indépendant dans sa vicomte de Turenne et dans les pays voisins. Turenne, après avoir levé le siège de Sarlat, alla rejoindre avec 3,000 hommes le prince de Condé dans l’Angoumois. L’armée allemande, on le sait, fut détruite et dispersée par le duc de Guise ; le duc de Bouillon, qui l’accompagnait, alla mourir de douleur à Genève, laissant ses grands biens à Charlotte de La Marck. Peu après, le duc de Montpensier mourait aussi, sans doute empoisonné, à La Rochelle. La mort frappait les chefs du parti protestant et Turenne pouvait aspirer à en devenir la tête.

Si son ambition personnelle pouvait s’ouvrir de plus vastes horizons, la cause protestante n’avait jamais semblé, malgré Coutras, plus près de la ruine. Turenne s’attacha à rallier Montmorency ; excitant sa jalousie contre les Guises, il lui représenta qu’il ne s’agissait plus de la religion catholique, mais de la couronne elle-même. Montmorency aimait ce que nous appelons aujourd’hui l’état ; il avait une grande affection pour Turenne, il se décida à rompre avec la Ligue, quand celle-ci triomphante dans Paris tenait Henri III à sa discrétion.

L’assassinat du duc de Guise à Blois changea la face des choses. Le roi de Navarre se sentit enfin délivré : il déploya cette fois une prodigieuse activité, il conquit en peu de temps des provinces entières et offrit son appui à Henri III. Le légataire et l’héritier de la couronne de France se rencontrèrent à Plessis-les-Tours. Il fut décidé qu’on marcherait sur Paris et qu’on châtierait la ville des barricades. Henri III, on le sait, tomba à Saint-Cloud sous le poignard d’un fanatique. Le Béarnais était roi de France. Turenne, pendant tout ce temps malade, était resté en Guienne ; il apprit avec une joie impatiente que la grande partie était décidément ouverte ; il avait bien choisi en se mettant contre les Guises avec Henri IV. De nouvelles luttes étaient nécessaires ; mais désormais il se sentait du côté du destin en même temps que du bon droit.

Le vicomte ne fut ni à Arques, ni à Ivry : il était dans ses terres,