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encore de renouer, envoya Turenne à Fontenay. Celui-ci tint à la reine mère un langage qu’elle n’avait jamais entendu, dénonça les Guises, ces étrangers prêts à saisir la couronne, courtisans de la plus basse populace. La reine se fâcha. « Le roi, dit-elle, était résolu à ne plus souffrir qu’une religion dans le royaume. — Nous le voulons bien, madame, dit le vicomte, pourvu que ce soit la nôtre. Autrement l’on peut s’attendre que nous nous battrons bien et qu’il en coûtera bien du sang. » Cela dit, il fit la révérence et s’en alla. Il faut se le figurer, beau comme il était encore, de figure pâle, longue, maigre, osseuse, cheveux drus et courts sur un front très haut, bouche au sourire amer, moustache retroussée, la tête encore allongée par une barbe pointue. Il n’avait du mignon que l’extrême élégance et la téméraire bravoure. Il était dévoré d’ambition, mais il n’attendait pas tout de la faveur, et il rêvait des grandeurs supérieures à celles du courtisan.


II

La guerre s’alluma dans tout le royaume. Turenne resta en Guienne, il emporta d’escalade Castillon, une place dont Mayenne avait mis deux mois à faire le siège. « Le vicomte, dit-on après cette surprise, fait avec un denier ce qui coûte à la Ligue un écu. » Il prit ensuite Meillan ; au siège du fort Nicolle, il reçut un coup d’arquebuse dont il fut plusieurs années à guérir complètement. À peine fut-il un peu remis, le roi de Navarre lui demanda des troupes ; il les amena lui-même sur la Loire, passa le fleuve avec 700 chevaux, attaqua le duc de Mercœur et lui prit tous ses bagages.

On attendait l’armée des reîtres allemands qui était entrée en France. Turenne opina pour qu’on ne passât pas la Loire pour aller les joindre ; les difficultés étaient trop grandes : il pensa qu’il valait mieux remonter au-dessus de la rivière de Loire en traversant des provinces affectionnées aux huguenots. Le roi de Navarre, suivit ce sentiment : le duc de Joyeuse, qui devait empêcher la jonction entre l’armée de Jean Casimir et le roi, rencontra ce dernier à Coutras. Dans la fameuse bataille qui a gardé ce nom, Turenne fit l’office de sergent de bataille. Le vicomte de Turenne, raconte le duc d’Aumale dans l’Histoire des princes de Condé, remplissant son office, forma les troupes protestantes en ordre de bataille. Le roi rectifia les positions qu’il avait choisies et en prit de plus avantageuses. Turenne commandait en personne la cavalerie gasconne. Les lances de Montigny mirent ses hommes en grand désordre, et il dut rejoindre avec quelques gentilshommes l’escadron de Condé, où il combattit avec valeur. Henri IV répara le mal, il mit en pièces la brillante cavalerie de Joyeuse et remporta une victoire