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grand défaut pour les charges que j’ai elles. » A dix ans, on regarda son éducation comme terminée, et on le mena à la cour de Charles IX. Il se mit à suivre Monsieur d’Alençon, dont l’âge approchait du sien. On lui donna un gouverneur, un écuyer, deux pages, un fourrier, un cuisinier, un sommelier, un argentier et deux laquais : douze mille francs suffisaient à toute cette dépense.

Il se trouvait avec la cour à Meaux quand les huguenots tentèrent d’enlever le roi, et fit la fameuse retraite de Meaux sur Paris, l’épée à la main, à côté du roi et du connétable. Le connétable mourut des blessures qu’il reçut à la bataille de Saint-Denis, et Turenne demeura à Paris avec sa grand’mère. « L’on avait de ce temps-là une coutume, qu’il estait messéant aux jeunes gens de bonne maison, s’ils n’avaient une maîtresse, laquelle ne se choisissait par eux et moins par leur affection, mais ou elles étaient données par quelques parents ou supérieurs, ou elles-mêmes choisissaient ceux de qui elles voulaient être servies. » Le maréchal d’Anville lui choisit Mlle de Chateauneuf. Elle lui donna l’air de la cour ; il la servit, comme on disait alors, jusques à la Saint-Barthélémy. « Je ne saurais désapprouver cette coutume, d’autant qu’il ne s’y voyait, oyait ni faisait que choses honnêtes. »

Le duc d’Alençon, le second frère du roi, n’avait que six mois de plus que Turenne : le rapprochement des âges les lia. Il restait encore quelque chose du vieil esprit féodal : on était à quelqu’un. A quinze ans, Turenne s’engagea donc avec le duc d’Alençon, il devint le confident de ses plaisirs, de ses espérances audacieuses. Son gouverneur, M. de la Boissière, lui donnait encore le fouet qu’il nourrissait déjà pour son prince et pour lui-même des ambitions sans bornes. Il jurait parce que « le roi jurait, » et « jurer était une marque de courage à un jeune homme. » Il était effronté, querelleur, et se livrait à tous les vices de la cour des Valois.

M. de Montmorency, qui depuis la mort du connétable était devenu une sorte de tuteur pour Turenne, l’emmena en Angleterre quand il alla traiter avec la reine Elisabeth au sujet des affaires des Pays-Bas. Il cherchait à le séparer du duc d’Alençon et voulait l’initier aux grandes affaires. Turenne, qui était beau, flatteur, insinuant, réussit à gagner et conserva toujours les bonnes grâces de la « reine-vierge. » Revenu en France, il s’établit avec Montmorency à l’Isle-Adam ; mais il ne réussit pas à se détacher du duc d’Alençon, bien que ses inclinations commençassent à le porter du côté du vainqueur de Jarnac et de Moncontour. Les deux frères se le disputaient ; il ne pouvait ni les servir tous deux, ni se détacher des Montmorency, il tâtait encore la destinée.

La Saint-Barthélémy le jeta dans le parti huguenot. « Le dimanche vingt-quatrième jour d’août (1572) s’exécuta à Paris cette