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beauté de Kasia jusqu’à ce que ce jeune homme eût jeté les yeux sur elle et pris feu aussitôt, selon son habitude. — Maciek, il me faut cette fille ? Amène-la-moi ! — L’autre le promet, à la condition toutefois que Wassili n’en saura rien. — Autrement, ajoute-t-il, le coquin nous enlèverait ce friand morceau.

En vain l’entremetteur se mit-il en frais. Kasia le renvoya toujours avec dédain. Elle n’en dit rien à son père, mais conta tout à Wassili, qui était son confesseur, son Dieu. Jugez de la rage du pauvre garçon. Il courut chez le comte : — Séduisez, si bon vous semble, toutes les filles du monde, mais épargnez, je vous en prie, la fille de Jasko. Défendez à Maciek d’exercer son métier sur celle-là.

— Et pourquoi ?

— Parce qu’elle sera ma femme. — En prononçant ces mots, les larmes lui vinrent aux yeux.

Xavier le regarda surpris ; enfin il répondit gravement : — C’est autre chose ; je te donne ma parole que je ne penserai plus à elle.

Hélas ! il promettait plus qu’il ne pouvait tenir. Il continua de penser à la jeune fille, et Maciek eut soin, au moyen de mille ruses, qu’il ne l’oubliât pas. Le serpent lui sifflait aux oreilles : — Wassili vous a trompé, il veut séduire la petite, voilà tout ! Renvoyez Wassili ; trois jours après, elle vous appartiendra !

Le comte était bon, mais faible et esclave de ses sens. Il hésita deux jours ; le troisième, il envoya son chasseur à Tarnopol acheter des fusils. Le pauvre Wassili partit tout tranquillement, armé de la parole de son maître. Maciek guettait cependant. Il vit que Kasia travaillait toute seule dans un champ isolé, près des « Trois-Hêtres, » et s’en alla conter au seigneur qu’elle consentait à tout et qu’elle l’attendait là. En conduisant son maître, il eut soin d’ajouter : — Si elle se défend du reste, nous sommes deux. — Le comte hésita de nouveau, mais seulement une minute ; on ne lui avait jamais appris à se maîtriser.

Eh bien ! que vous dirai-je ?.. ils étaient deux en effet, et Kasia n’était qu’une faible fille. Le forfait fut accompli.

Pâle comme la mort, tremblante et glacée, la pauvre enfant rentre enfin.

— Qu’est-il arrivé ? demandent les parens, les voisins ; mais elle couvre son visage de ses mains et reste muette : — Il n’y en a qu’un à qui je dois tout dire, murmure-t-elle enfin. — C’est sans doute le pope, supposent ces bonnes gens ; il faut le faire demander. Mais au pope non plus elle ne dit rien, et on finit par se rassurer en admettant qu’elle ait été effrayée dans le crépuscule du soir par un spectre quelconque, un vampire, un errant, un de ces êtres enfin qui ne sont ni vivans ni morts et qui planent sur la terre quand le