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d’essayer déjà celle-ci. La tentative seule les rendra meilleurs. Dans le cas même où ils échoueraient, ils auront acquis de l’expérience, l’habitude de l’ordre et de l’épargne, le maniement des affaires et une connaissance pratique des questions économiques non moins désirable pour eux que pour l’ordre social.

Lassalle ne prétendait pas que les sociétés coopératives apportaient par elles-mêmes « la solution de la question sociale. » — « Jamais, dit-il, je ne me suis servi de cette expression, parce que la transformation de la société sera l’œuvre des siècles et d’une série de mesures et de réformes qui sortiront « organiquement » les unes des autres : je n’ai préconisé la coopération que comme un moyen d’améliorer le sort des ouvriers. » D’après lui, la propriété telle qu’elle existe maintenant n’est qu’une « catégorie historique » et transitoire. Elle consiste aujourd’hui à tirer sans travail un revenu d’une terre ou d’un capital que la loi vous attribue. La propriété de droit naturel ne doit avoir d’autre fondement que le travail, de sorte que, loin de vouloir abolir la propriété, son seul but, dit-il, est d’établir la propriété véritablement individuelle et proportionnée aux services utiles. Il appuie son système sur la théorie de Smith et de Ricardo, qui fait naître toute valeur du travail seul. Il dit, avec Bastiat, que ce qu’il faut payer dans le produit, ce ne sont pas les forces de la nature, c’est le labeur de l’homme. Le service des agens naturels est ou doit être gratuit. On voit que Bastiat a donné des armes au socialisme, qu’il s’était donné pour mission de combattre, en méconnaissant des vérités clairement établies par ses prédécesseurs. Les sociétés de production, quand elles auraient englobé dans leur sein tous les citoyens, deviendraient propriétaires des terres et des capitaux, et le travailleur, en prenant place dans l’atelier, entrerait en possession viagère de l’instrument de travail ou de la part de l’avoir social qui correspondrait à son emploi. Cet emploi serait en rapport avec ses aptitudes, et sa rémunération serait exactement égale au produit de son travail. Ceci n’est autre chose, on le voit, que la formule si connue de Saint-Simon, invoquée récemment au congrès ouvrier de Paris : « à chacun suivant ses capacités, à chaque capacité suivant ses œuvres. » Lassalle ne respecte pas plus que Saint-Simon l’hérédité telle qu’elle existe aujourd’hui. Ce n’est plus là, dit-il, une institution vivante, ayant ses racines dans le sentiment moral et juridique de l’époque ; c’est une tradition morte qu’à chaque instant déjà le législateur ébranle et restreint dans l’application. Les Romains ont créé la succession testamentaire parce qu’ils croyaient que la volonté du défunt passait dans la personne de l’héritier désigné. Les Germains, dont nous avons pris la succession ab intestat,