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montré que la cause principale des échecs si fréquens de ce genre d’associations vient du choix des gérans. « La première cause d’insuccès, dit le premier, réside dans l’inexpérience des associés et dans leur inaptitude aux affaires. La grande préoccupation était de produire, sans même savoir comment on écoulerait les produits. De là, de nombreuses erreurs dans le choix des gérans. On prit généralement les meilleurs ouvriers, privant ainsi l’atelier de sujets utiles et leur confiant une besogne pour laquelle ils n’avaient aucune des qualités voulues. » — « La société se constitue et l’atelier s’ouvre, dit le citoyen Masquin. Là commencent les difficultés. Il faut un homme capable pour gérant, mais les hommes capables sont placés, et en vain leur offrez-vous les mêmes appointemens, ils hésitent, parce qu’ils ont pour des responsabilités et que l’établissement peut ne pas réussir. Dans beaucoup de sociétés, on a pris le premier venu, et elles ont croulé. »

Dans ce même congrès, les ouvriers ont reconnu et proclamé un fait d’expérience qui est la condamnation du grand plan de rénovation sociale proposé par Lassalle : c’est que les avances de l’état sont la perte des sociétés ouvrières. S’il ne fallait que les quelques cents millions de francs réclamés par le socialiste allemand pour transformer tous les ouvriers ! en capitalistes jouissant du produit intégral de leur labeur, quel est le parlement qui ne les votât volontiers ? Un milliard, deux milliards, même sans intérêt, seraient peu pour accomplir cette pacifique et heureuse révolution qui en éviterait dans l’avenir de sanglantes et de bien plus coûteuses ; mais c’est un fait constaté, l’argent avancé par l’état porte malheur. Au congrès ouvrier, le citoyen Finance, positiviste et adversaire du principe même de la coopération, a montré, chiffres en mains, que, des associations subventionnées en 1848, une seule a survécu jusqu’aujourd’hui[1]. Les partisans du système coopératif reconnaissent aussi que, pour réussir, il doit se développer en dehors de tout appui de l’état. « Les subventions de L’état, dit le

  1. Ces faits, surtout constatés par des ouvriers, sont si instructifs qu’il est utile d’en reproduire ici le détail. En 1848, l’assemblée constituante vota en juillet, c’est-à-dire, après les journées de juin, une subvention de 3 millions destinée à encourager les sociétés ouvrières ; 600 demandes, dont 300 pour Paris, furent adressées à la commission chargée de répartir les fonds ; 56 seulement furent accueillies. À Paris, 30 associations, dont 27 entre ouvriers réunissant 434 associés, reçurent 800,500 francs. Déjà, dans les premiers six mois, 3 des associations parisiennes se mirent en faillite ; et sur les 434 associés, il y eut 74 démissions, 15 exclusions et 11 changemens de gérans. Au mois de juillet 1851, 18 association, avaient encore cessé d’exister. Un an après, 12 autres avaient disparu. En 1865, on en comptait encore 4 qui avaient plus ou moins bien réussi. En 1875, il n’en restait plus qu’une seule, celle des tailleurs de limes, et, comme le remarque le citoyen Finance, elle ne s’était pas fait représenter au congrès.