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pour la sécurité de ses fonds avancés. Chaque semaine, les ouvriers recevraient le salaire habituel dans la localité et, au bout de l’année, le bénéfice serait distribué comme dividende.

Les risques, les chances de perte disparaîtraient, parce que l’industrie, au lieu de produire au hasard, marcherait d’après un plan d’ensemble pour répondre à des besoins connus. Quel contraste aujourd’hui entre l’ordre admirable qui règne dans chaque atelier et l’anarchie qui désole le monde industriel ! Dans chaque manufacture, le maître veille à ce que rien d’inutile ne soit fabriqué. Pour construire 50 wagons à quatre roues, on ne prépare pas plus de 200 bandages ; mais s’agit-il de répondre à la demande générale qu’on ignore, chaque industriel produit à l’aveuglette et tâche ensuite de tout vendre en faisant la concurrence aux autres. Ce sont alors les crises monétaires et les crises industrielles de la surproduction qui ramènent l’équilibre. Celui-ci n’est obtenu qu’au prix de grandes pertes pour les maîtres et de chômages bien plus désastreux encore pour les ouvriers. Ces crises, ces souffrances, seraient évitées si, les besoins étant connus, grâce à la statistique, les différentes associations s’entendaient pour y faire face. L’activité des différentes branches de la production pourrait être réglée aussi parfaitement que le sont aujourd’hui les divers genres de fabrication au sein d’un même atelier. Déjà maintenant il est de puissans établissemens métallurgiques où toute une série d’opérations techniques s’enchaînent de façon à former un tout organique qui tire du sol le minerai et la houille et qui livre complètement achevés des locomotives, des navires, des machines de toute espèce : les usines de Krupp en Allemagne, le Creusot en France, Seraing en Belgique, offrent ces combinaisons admirables. C’est ce régime qui devrait s’étendre à la société toute entière. Alors le fonds productif et tous les instrumens de production appartiendraient d’une façon permanente aux différentes sociétés groupées en corporations de métiers. Les moyens de production nouvellement créés deviendraient la propriété des sociétés, les particuliers comme tels n’en ayant pas l’emploi. Au contraire, tous les objets de consommation ou leurs prix seraient répartis entre ceux qui ont contribué à les produire, comme cela a lieu aujourd’hui, d’après des bases plus équitables ; le bien-être général serait beaucoup plus grand, non-seulement parce que la répartition se ferait plus également, mais parce que la production serait bien plus considérable. Un des disciples de Lassai le, le baron von Schweitzer, en donne les motifs dans un petit écrit publié après la mort du maître sous le titre de Schulze mort contre Lassalle vivant (Der todte Schulze gegen den lebenden Lassalle). On éviterait les pertes résultant des travaux