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Ce n’est pas sans efforts, ce n’est pas sans surtaxes de toute sorte que la Russie est arrivée à mettre son revenu au niveau de celui des plus prospères nations du monde. La plupart des contributions, directes ou indirectes, impôts personnels ou impôts de consommation, ont été notablement accrus depuis douze ou quinze ans. Le peuple russe, les classes inférieures surtout, ont vu leurs charges pécuniaires s’aggraver en même temps que s’améliorait leur condition civile. Le paysan ou le petit bourgeois est, en dépit des libertés qui lui ont été rendues, demeuré comme par le passé taillable à merci, et, comme il n’y a point dans le pays de classe capable de prendre sur les siennes le fardeau qui pèse sur les épaules du moujik et du mêchtchanine, le pauvre peuple ne peut guère espérer d’allégement que du développement normal de la richesse publique. L’impôt que ses 80 millions de sujets paient au tsar ne dépasse pas de beaucoup une vingtaine de francs par tête. En France, nous payons en moyenne au fisc trois ou quatre fois plus, mais les impôts impériaux ne sont pas la seule charge que supporte le paysan russe, et n’en eût-il point d’autres qu’elle serait aussi lourde pour lui qu’une charge triple ou quadruple pour les Français, parce qu’en France les classes riches ou aisées sont assez nombreuses pour ne laisser retomber sur les moins fortunées qu’une moindre part du fardeau public.

La taxation en Russie semble avoir atteint une limite qu’elle ne saurait guère franchir sans risquer de tarir les sources appauvries du revenu national. On a souvent dit que les bornes raisonnables avaient déjà été dépassées et la richesse du pays prématurément épuisée par l’excessif drainage du fisc. Je ne saurais accepter cette opinion. Si le peuple russe a été taxé jusqu’à l’extrême mesure de ses forces, cette mesure n’a pas encore été outre-passée. Il y a pour la capacité contributive des peuples un criterium certain, c’est le rendement même des impôts. Les taxes disproportionnées aux forces du contribuable ne rentrent pas au trésor ; au lieu de plus-values, les impôts enflés outre mesure ne donnent à l’état que des