Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/867

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

générations futures qu’une pareille fortune immobilière le jour où elle sera en pleine valeur ! On a estimé ce domaine à 4 ou 5 milliards de roubles, 16 ou 20 milliards de francs. De telles évaluations sont loin d’avoir rien d’exagéré si l’on envisage l’avenir, mais elles ne sauraient représenter une valeur vénale actuelle et réalisable. Sous les règnes précédens, on avait imaginé de considérer les biens de la couronne comme la garantie ou la couverture du papier-monnaie en circulation. C’était une imitation de ce qu’avait fait la révolution avec les biens nationaux en faveur des assignats. La copie n’a guère mieux réussi que le modèle, et son immense richesse foncière n’a pu préserver la Russie d’une banqueroute partielle de sa monnaie fiduciaire. C’est que ces terres sans limites ne sauraient être réalisées, c’est qu’une grande partie du domaine forestier, celui dont l’état pourrait le plus librement disposer, est inhabitée, inaccessible, inexploitable. Les voies de communication, les chemins de fer surtout, permettront seuls d’utiliser les vastes espaces du nord-est. Pour les terres habitées par les paysans de la couronne, elles pourraient, en cas de besoin extraordinaire du trésor, être aliénées aux laboureurs qui les cultivent et faire l’objet d’une opération de rachat analogue à celle pratiquée pour les terres des anciens propriétaires de serfs.

Que tire aujourd’hui de cette colossale propriété le trésor impérial ? Son premier revenu est l’obrok, ou redevance foncière des paysans qui vivent sur les biens de la couronne. Cet obrok, qui représente une sorte de loyer de la terre, se perçoit de même que la capitation par tête de paysan, mâle, et grâce à la solidarité de la commune. Aussi le produit de l’obrok est-il, dans la nomenclature budgétaire, confondu avec le produit de l’impôt personnel, comme si ce n’était qu’une contribution, une capitation supplémentaire ajoutée à la capitation ordinaire. Cette redevance des paysans de la couronne varie suivant les régions ou la qualité du sol et a été successivement accrue. Depuis 1861, où a eu lieu, croyons-nous, la dernière augmentation, l’obrok est de 3 roubles 30 kopeks par tête pour la première classe, et de 2 roubles 25 kopeks pour la quatrième et dernière. En 1862, on a ajouté à cette redevance personnelle une redevance foncière proportionnelle à la quantité de terres arables dont jouit le paysan. Le produit total de cette double redevance s’élève à près de 40 millions de roubles, dont la plus grande partie est à tort inscrite dans les actes officiels parmi les contributions foncières et personnelles.

Le principal revenu du domaine de la couronne ne figure pas ainsi dans le budget du domaine. Les recettes inscrites sous cette rubrique au budget général sont inférieures à 30 millions de