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aux contributions urbaines et à quelques taxes accessoires est ainsi tombé à 6 millions de roubles. En revanche, c’est à cette modification de compte qu’il faut sans doute attribuer la plus-value des impôts personnels et redevances foncières qui, ayant à peine donné, en 1874, 95 millions de roubles, ont dépassé, en 1875, 117 millions.

A la capitation a depuis 1863 été substitué dans les villes un véritable impôt foncier, reposant sur les biens et non plus sur les personnes. Cette réforme a une plus grande importance morale que financière. Dans ce pays encore tout rural, l’impôt foncier urbain ne contribue aux taxes directes que pour deux millions et demi de roubles. Ce qui lui mérite l’attention, c’est la manière dont cette innovation a été appliquée. Naguère l’impôt personnel n’atteignait dans les villes que les mêchtchanes, c’est-à-dire la classe inférieure et peut-être la partie de la population russe la moins assurée de moyens d’existence[1]. Le nouvel impôt foncier atteint au contraire toute la population urbaine. Sans distinction de classe ni de privilège ; c’est l’application stricte du principe de l’égalité devant l’impôt et de la taxation de chacun suivant ses facultés. Au rebours de l’ancien ordre de choses, la loi nouvelle a même voulu exempter de toute contribution la demeure du pauvre. Par malheur cette équitable intention reste souvent sans efficacité pratique. La loi affranchit de toute taxe les biens qui, d’après la répartition de l’impôt mis à la charge d’une ville, auraient à payer moins d’un quart de rouble. Ce mode d’évaluation a l’inconvénient de laisser au-dessus du minimum légal dans les petites villes pauvres beaucoup d’habitations, qui resteraient au-dessous dans les grandes cités. En maintes villes russes, qui ne sont que de grandes bourgades décorées d’un hôtel de ville et d’une prison, la masse des habitations, véritables izbas de paysans, a si peu de valeur, que presque toutes tombent sous le coup de l’impôt. De là souvent la difficulté de recouvrer la taxe. Dans beaucoup de villes, le contribuable n’est pas en état de verser sa contribution en une fois, comme l’exige la loi. Le mêchtchanine, pauvre artisan ou ouvrier à gages, n’ayant souvent qu’un salaire d’un rouble ou d’un rouble et demi par semaine, ne peut acquitter sa contribution foncière que kopek par kopek, c’est-à-dire sou par sou[2]. Au jour du marché, lorsque le mêchtchanine est en train de faire son petit commerce ou vient de recevoir sa paie, le percepteur des contributions va de l’un à l’autre des retardataires, prenant de chacun en à compte une ou deux pièces de cuivre. On comprend que cette

  1. Voyez la Revue du 1er avril.
  2. Golovatchof, Decial lêt reform, p. 70.