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du pays, c’est qu’en Russie la partie pauvre de la population est plus nombreuse, la partie aisée moins nombreuse et moins riche qu’ailleurs. Si c’est l’izba du moujik qui alimente surtout le trésor public, cela tient avant tout à ce que la Russie est plus qu’aucune autre contrée de l’Europe demeurée un pays rural, et que, dans son indigence même, le moujik est le grand consommateur comme le grand producteur national. Faute des sources abondantes et limpides de l’épargne ou de la richesse accumulée, faute des larges rivières de l’industrie et du commerce, le trésor public est obligé, pour ne point rester vide, de recueillir les plus minces ruisseaux des campagnes et jusqu’à l’eau bourbeuse des égouts des villes. C’est un axiome économique que l’impôt doit frapper la richesse, mais dans les états les plus prospères de l’Occident l’impôt ne saurait encore couvrir les besoins de l’état en ne frappant que les riches. A plus forte raison en est-il ainsi dans l’empire russe ; les classes aisées y pourraient être taxées davantage, elles ne sauraient supporter le principal poids du fardeau qui pendant longtemps devra rester sur les épaules du peuple. Pour en finir avec une telle situation et permettre une sérieuse et complète transformation, il ne suffit pas de lois ou d’édits, il faut un notable accroissement de la richesse publique. C’est un point sur lequel les philanthropes ou les démocrates russes auraient tort de se faire illusion.

Un semblable régime financier, surtout lorsqu’il est en harmonie avec l’état économique d’un pays, a naturellement plusieurs conséquences que l’on peut signaler d’avance, sans même être entré dans l’étude des faits. J’en indiquerai deux également importantes et également regrettables. L’une, c’est que, grâce à la pauvreté des classes sur lesquelles ils tombent, la rentrée des impôts est moins certaine et leur rendement moins fixe qu’en des contrées plus riches. En de tels pays, les taxes indirectes, les taxes de consommation, ne sont point seules sujettes à des fluctuations ; l’impôt direct, qui de sa nature semble devoir peu varier, n’y échappe point toujours. Cela est visible en Russie. En dépit de toutes les précautions prises pour assurer la rentrée des contributions directes, malgré l’intérêt donné aux agens du fisc sur les sommes par eux perçues, malgré la solidarité des taxes imposées aux communes rurales, le contribuable est fréquemment en retard. Dans la plupart des années il y a des districts entiers où les recouvremens n’ont pu se faire. Une mauvaise récolte, une disette, une épidémie, une calamité quelconque suffit à mettre le contribuable dans l’impossibilité de payer. La Russie, heureusement pour elle, a un remède, un antidote à ce mal, dans la grandeur de son territoire. Toutes les provinces, toutes les régions de l’empire ne se trouvent pas