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de ce mémorable congrès où le duc de Richelieu eut l’honneur de faire consacrer par l’Europe l’affranchissement complet de sa patrie et le retour de la monarchie française au rang qu’elle avait autrefois occupé parmi les grandes puissances. Plusieurs cabinets, et en particulier celui de Vienne, avaient craint que, dans ce congrès, Alexandre ne brisât la quadruple alliance et ne se rapprochât « à grands pas d’un système d’union intime avec la France, système que l’on regardait avec raison comme un des coups les plus funestes pour la sûreté des puissances intermédiaires et pour le repos du monde. « Il n’en fut rien ; Alexandre rassura pleinement ses alliés, et renouvela même avec eux le traité qui, en 1814, les avait réunis contre Napoléon : il s’engagea de nouveau à combattre avec l’Angleterre, l’Autriche et la Prusse, dans le cas où il se produirait en France un bouleversement menaçant pour la sûreté de l’Europe. Gentz revint d’Aix-la-Chapelle un peu rassuré, et il n’hésite pas à déclarer le congrès « un chef-d’œuvre de sagesse, de loyauté et de modération ; » il se plaît à considérer cette ligue qui se reformerait contre la France « au moindre signal d’une entreprise offensive. » Il se rassénère en pensant que la France « sera encore bien longtemps l’objet de la défiance générale, et que longtemps encore une guerre contre la France sera la seule populaire en Europe, la seule qui, en dépit de la détresse générale, ne manquerait pas de partisans, de bras et de sacrifices. » Néanmoins, on le sent, Gentz n’est point tranquille pour les années qui vont suivre ; mais le premier volume de ses dépêches s’arrête en 1819 ; la crise qui se préparait en Orient n’avait pas encore éclaté, Alexandre n’avait pas encore senti les grandes tentations, la quadruple alliance n’avait point encore été sérieusement menacée ; elle ne le fut qu’après 1820, lorsque se produisirent, à si peu d’intervalle, la révolution de Naples, la révolution d’Espagne et la guerre d’indépendance de la Grèce. Ce fut l’épreuve décisive du système de 1815, et c’est alors qu’il put être sérieusement question d’alliance entre la France et la Russie. L’histoire diplomatique présente peu d’épisodes aussi intéressans et aussi instructifs que les laborieuses négociations qui s’engagèrent durant cette période entre Paris et Pétersbourg : c’est alors qu’on put voir ce qu’il y avait de fondé dans les appréhensions de Metternich. Nous sommes en droit d’attendre, à ce sujet, des deux volumes que nous promet l’éditeur des dépêches de Gentz, de précieux éclaircissemens.


ALBERT SOREL.