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consistait désormais à ne pas entamer le corps de la vieille France, à ne pas frapper d’une punition exemplaire le « grand criminel, » à dominer enfin les passions « de cette foule de fanatiques que l’idée de traiter avec Napoléon au lieu de l’envoyer à l’échafaud faisait frémir de rage. » Metternich y parvint, grâce à sa persévérance et à sa dextérité. « Dans les conférences qui eurent lieu a Troyes entre le 13 et le 14 février 1814, tous les partis s’étaient accordés à traiter de bonne foi avec Napoléon, et avaient décidé de n’admettre le projet de travailler à sa destitution que dans le cas où il rejetterait ouvertement les conditions proposées par les alliés. C’est donc un fait incontestable que le 17 février, jour où l’on remit à M. de Caulaincourt l’ultimatum des puissances alliées, il dépendait encore de Napoléon de conserver son trône et sa dynastie, et que pendant tout l’intervalle du 17 février jusqu’au 18 mars, son sort était entre ses mains. » L’ultimatum des alliés posait en principe les frontières de 1792. Napoléon, ébloui par ses derniers succès, refusa ; il voulait les conditions de Francfort. Il acheva de se perdre. Les conférences de Châtillon furent rompues et la chute de Napoléon décidée. « La politique du cabinet autrichien changea de fond en comble. M. de Metternich, en ministre habile, voyant que l’obstination de Napoléon ne lui laissait plus le choix des mesures, et que le système qu’il avait longtemps combattu devenait enfin le seul exécutable, résolut de se mettre à la tête de ce système. Le parti des Bourbons avait été extrêmement faible jusque-là ; on travaillait dès lors à le renforcer, à nourrir ses espérances, à favoriser ses démarches, à laisser libre cours aux proclamations des princes[1]. »

Depuis l’invasion de la France, on s’était familiarisé avec L’idée de la destruction totale du gouvernement de Napoléon et du rétablissement de la famille de Bourbon. Cependant les alliés ne s’étaient pas concertés sur ce sujet avant leur entrée en France[2] ; à Langres, le 22 janvier, « la question du rétablissement des Bourbons, qui fermentait dans toutes les têtes, fut éludée de toutes parts ; personne n’eut le courage d’en faire ouvertement l’objet d’une discussion. » C’est que les alliés sentaient que, sur ce point, ils ne s’entendraient pas, et que Metternich usait de toute son influence pour les décider à traiter avec Napoléon. Gentz nous fait connaître les motifs qui le guidaient. « Le vœu sincère du cabinet d’Autriche, dit-il, était de faire la paix avec Napoléon, de limiter son pouvoir, de garantir ses voisins contre les projets de son ambition inquiète, mais de le conserver, lui et sa famille, sur le trône de France. Ce vœu n’avait point son origine dans un mouvement de

  1. Gentz, dépêche du 11 avril 1814.
  2. Gentz, 5 février 1814.