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contre-poids les plus essentiels dans l’équilibre général de l’Europe… Il défendra les intérêts de la Porte comme les intérêts les plus précieux de l’Autriche elle-même, et, loin de jamais souffrir que la Russie y porte la moindre atteinte, quel que soit d’ailleurs son désir d’assurer une longue paix à l’Europe, il ne craindrait pas de se brouiller avec cette puissance, si un pareil projet pouvait dans aucun temps lui être suggéré par de mauvais conseils. »

Mahmoud II, qui régnait alors à Constantinople, était agité, et bien plus vivement encore, des craintes qui troublaient Metternich. Il sentait la nécessité de se rapprocher de l’Autriche et de se procurer des renseignemens précis sur la politique des grandes cours du nord. Il chargea le prince Janko Caradja, qu’il venait d’introniser comme hospodar de Valachie, de se faire son intermédiaire à Vienne, de lui trouver un correspondant éclairé et de lui transmettre par un homme de confiance les renseignemens qu’il recevrait. L’homme de confiance était un certain Hekimbachi-Masoud-Effendi, qui avait étudié la médecine à l’université de Vienne. Restait à trouver le correspondant : Janko-Caradja se mit en quête. Metternich eut vent de l’affaire et jugea qu’il y avait là pour lui une occasion excellente de s’assurer une influence sérieuse auprès de la Porte et un moyen de récompenser, sans bourse délier, un serviteur, précieux pour lequel les embarras d’argent étaient devenus une sorte de mal chronique qui paralysait trop souvent ses merveilleuses facultés ; « Le 27 décembre 1812, dit Gentz dans son journal[1], le comte Metternich m’ouvrit très inopinément la perspective d’une correspondance avec le nouveau prince de Valachie, Caradja, et nous causâmes des moyens d’entamer cette importante affaire. En même temps, il me laissa pénétrer au fond de ses préoccupations et de ses espérances, et, bien que tout autour de moi restât encore dans l’obscurité et dans le chaos, un monde nouveau se leva devant mes yeux à la fin de cette année. » Gentz ne tarda pas un instant à offrir ses services au prince Caradja. Il lui écrivit le jour même[2]. Dans cette lettre, il fait valoir les avantages que sa situation à Vienne présentait au prince : il avait le titre de conseiller aulique, mais c’était un titre purement honorifique et qui ne lui imposait aucune obligation spéciale. « Je jouis d’une liberté entière, disait-il, et si je suis en état, comme je crois l’être, de fournir des notions correctes et satisfaisantes sur ce qui se passe chez nous et autour de nous, c’est uniquement par les rapports honorables dans lesquels je me trouve avec les hommes les plus instruits de cette monarchie, et par la considération et

  1. Tagebücher von F. von Gentz, Leipzig.
  2. Voyez, pour les origines de cette correspondance, Klinkowström, Briefe von Gentz, Vienne 1869.