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que c’est le rôle traditionnel de la France de répandre, aussi loin que se montre son pavillon, les bienfaits de la civilisation et de la foi, que c’est là son seul moyen de lutter dans l’extrême Orient contre la grandeur des nations plus commerçantes sans être complètement éclipsée par elles ; que la France subirait une diminution dans son prestige le jour où elle abandonnerait cette tâche. Les commerçans professent généralement la première opinion, les diplomates la seconde : la matière mériterait en tous cas d’être examinée avec soin par l’opinion publique en France, et de ne pas être laissée uniquement à la discrétion du ministre, ou plutôt des bureaux du ministère des affaires étrangères.

De la cathédrale, une chaise à porteurs me ramène à la concession située sur le bord du fleuve, en face de l’hôtel où je suis descendu, seul endroit de la ville où l’on trouve de larges voies plantées de multiplians, de l’air, de l’espace. La partie réservée aux Anglais est couverte de maisons à deux étages, construites dans de vastes proportions et dans le style commun à toutes les habitations européennes en Chine, qui tient le milieu entre l’hôtel et la villa. Quant à la partie française, ce n’est qu’une plaine inculte qui attend encore des acquéreurs, triste contraste que le voyageur français est forcé de constater trop souvent. Il y règne peu d’animation, quoique l’heure soit celle de la promenade : quelques cavaliers font galoper leur poney le long d’une allée trop tôt parcourue, quelques couples s’acheminent lentement le long de la berge ; on vient saluer le soleil qui se couche tristement dans un horizon bas et brumeux. C’est à peine s’il y a une trentaine d’Européens résidant à Canton, parmi lesquels deux ou trois dames anglaises seules ont osé affronter les ennuis de cette réclusion aux portes d’une grande cité. Voilà bien, sauf les améliorations du confort moderne et la fréquence des communications, la vie des anciennes factoreries, des premiers pionniers du commerce occidental jetés par l’énergie de nos pères au milieu de populations hostiles, sous un, climat inhospitalier, et soutenus dans leur triste existence par L’âpre volonté du gain., Mais, hélas ! ceux-ci subissent la crise générale dont souffre le négoce dans tout l’extrême Orient : les affaires se ralentissent, le chiffre des imports, qui était en 1865 de 7,900,000 taëls, et celui des exports, qui était de 13,500,000, ont considérablement, baissé : et d’ailleurs l’habileté des négocians chinois sait se priver de l’intermédiaire des commissionnaires établis à leur porte, pour pratiquer des échanges directs avec l’Europe en passant par-dessus leur tête. Ce marasme apparaît dans l’aspect même du settlement ; plusieurs maisons sont inhabitées. et tombent en ruine ; ce n’est pas la prospérité qui arrive, c’est la vie qui s’en va. Partout même phénomène : production et consommation semblent, dans les deux parties de l’ancien monde,