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vers les diverses parties du littoral, par un mouvement semblable à celui de la circulation du sang. Le delta formé par l’alluvion est d’une fertilité remarquable : le riz et le mûrier y croissent en abondance. Bien que les villages soient rares, la population est cependant, parait-il, très nombreuse ; mais les chaumières se cachent dans la verdure et beaucoup de gens vivent sur des bateaux, qu’ils dissimulent le mieux possible dans les criques pour échapper aux collecteurs de l’impôt. Nous dépassons beaucoup de ces barques, qui se laissent emporter doucement, leurs voiles déployées en éventail, tandis que la famille du pêcheur vaque, au milieu d’un désordre indicible, à des opérations passablement prosaïques. De temps en temps on voit des mariniers tirer leur barque sur la plage, remmailler leurs filets ou renouveler les offrandes consacrées aux divinités protectrices de la mer, et placées dans de petites niches rouges et noires sur maint îlot et maint promontoire.

Chemin faisant, je feuillette le directory. Dans chaque colonie, dans chaque settlement anglais, on est sûr de trouver sous ce titre une petite monographie succincte et claire donnant au voyageur tous les renseignemens nécessaires sur la ville où il arrive : population, liste des résidens, productions, statistique commerciale, tarifs, voies de communication, historique rapide, etc. La prospérité de Canton remonte au VIIIe siècle de notre ère : c’est en 1517 que les premiers Portugais y abordèrent ; en 1637, on y vit arriver quelques marchands anglais. La compagnie des Indes y établit une factorerie importante, et la capitale si bien placée du Kuang-tong devint le grand emporium de la Chine du sud ; mais les vexations des Chinois amenèrent la guerre de l’opium en 1840, et le traité de Nankin en 1842 ouvrit au commerce européen les ports de Canton, Amoy, Fuchéou, Ningpo et Shanghaï. Le refus d’exécuter ce traité et le pillage des factoreries européennes déterminèrent la dernière guerre. Canton fut pris le 15 décembre 1856 par les Anglais, puis une seconde fois par les Français le 29 décembre 1857. On a vécu en bons termes depuis le traité de Tien-tsin (1858). La population s’élève à 700,000 habitans, entassés dans un mur d’enceinte de 6 milles de longueur ou groupés dans les faubourgs adjacens. La concession européenne, qui porte le nom de Shamien, est un îlot de 2,800 pieds de long sur 950 de large, séparé de la ville par un canal, où l’on a tracé de larges rues, planté quelques arbres, construit des quais, fait en tout une dépense de 325,000 piastres, dont 1/5 a été supporté par la France et 4/5 par l’Angleterre.

Cependant le Kiu-kiang remonte rapidement la rivière aux flots jaunâtres ; il dépasse Wampoa, où l’on voit les restes abandonnés d’un, dock de radoub construit par les Anglais et détruit en 1875 par l’épouvantable typhon qui a désolé tous ces parages. Les